Dr Ndèye Marième Ndiaye, chef de la Dsr/Se : « Nos stratégies de communication doivent être revues pour toucher les adolescents et les jeunes »


Des progrès constants sont enregistrés au Sénégal dans la promotion de la planification familiale. Seulement, en 2016, une baisse de 29.000 utilisatrices additionnelles est notée par rapport à l’année dernière. Pour le Dr Ndèye Marième Ndiaye, chef de la Division planification familiale à la Direction de la santé de la reproduction et de la Survie de l’enfant (Dsr/Se), cela ne signifie pas un désintérêt pour la planification familiale.

Au contraire, elle estime qu’il est, aujourd’hui, nécessaire de prendre en charge les défis de la création de la demande pour voir comment la faire autrement. Ainsi, elle milite pour la révision des stratégies de communication afin de toucher les adolescents et les jeunes qui sont laissés en rade.

Une baisse des nouvelles utilisatrices de la planification familiale est notée au Sénégal entre 2015 et 2016. Selon vous, qu’est-ce qui explique cette situation ?

Le Sénégal a, jusque-là, fait des efforts dans la promotion de la planification familiale. Son leadership dans ce domaine a été réaffirmé en 2012, lors du Sommet de Londres sur la planification familiale où le ministre de la Santé et de l’Action sociale a émis le souhait d’atteindre 27 % de prévalence contraceptive en 2015. Malgré le fait qu’on n’ait pas atteint cet objectif, le Pr Awa Marie Coll Seck a maintenu l’objectif de 45 % de prévalence contraceptive pour 2020. Dans ce cadre, beaucoup d’interventions à haut impact ont été menées.

C’est ainsi que la disponibilité des produits contraceptifs a été réglée au Sénégal. Nous sommes maintenant dans une phase de transition dans la distribution des médicaments au niveau de la Pharmacie nationale d’approvisionnement (Pna) qui a initié deux stratégies majeures pour rapprocher les produits pharmaceutiques des populations. Il s’agit précisément du « Diégué sina » (je me suis rapproché, Ndlr) et du « Yeksina » (je suis arrivé, ndlr). Ce sont des acquis importants pour le Sénégal.

A la fin de l’année 2015, il s’est trouvé que nous nous sommes concentrés à élaborer le Nouveau cadre stratégique de planification familiale (2016-2020). Cette option est choisie pour coller à notre Plan national de développement sanitaire et social (Pnds) pour la période 2009-2018. Car la planification familiale se situe au niveau de l’objectif 1 du Pnds qui englobe la lutte contre la mortalité maternelle et infanto-juvénile. Donc, ce Nouveau cadre stratégique intègre bien la planification familiale et va au-delà du délai du Pnds en ce sens qu’il est doté de plans d’exécution annuels. Cette étape de transition a été très sensible. Si on ne la gère pas bien, cela peut conduire à des baisses. Mais, les gens n’ont jamais arrêtés de travailler. La diminution du nombre de nouvelles utilisatrices au Sénégal en 2016 par rapport à 2015 ne signifie pas un désintérêt pour la planification familiale.

Au contraire, à côté des partenaires, l’Etat contribue pour beaucoup dans la mobilisation des ressources en faveur de la planification familiale. Chaque année, une ligne budgétaire de 300 millions de FCfa est dégagée pour l’achat des produits contraceptifs. Les municipalités contribuent aussi dans les activités opérationnelles. L’appui des bailleurs qui accompagnent les politiques de l’Etat dans la mise en œuvre des stratégies de planification familiale pour atteindre les objectifs fixés est aussi très important. Il faut leur accompagnement continu.

Avec ce Nouveau cadre stratégique que vous avez élaboré, allez-vous laisser de côté le Plan d’actions national de planification familiale ?

Nous avons bien identifié les problèmes que nous avons eu à rencontrer lors de la première phase d’exécution des Plans d’actions nationaux de planification familiale (PanPf). On sait qu’il est, aujourd’hui, nécessaire de prendre en charge les défis de la création de la demande pour voir comment la faire autrement. Dans la mise en œuvre de la première phase du PanPf, la campagne de communication était axé sur le concept « Moytou nef » (espacement des naissances). Cette campagne était exclusivement destinée aux femmes en union.

La sensibilisation des religieux et des hommes était également visée. Aujourd’hui, on sait que les jeunes doivent être pris en compte. Ils doivent être au centre des débats, surtout la tranche d’âge 15-19 ans et même jusqu’à 24 ans. Car c’est là où l’on trouve le plus de problèmes, notamment la scolarisation, les violences, grossesses précoces, viols, drogues, etc. Pour que les jeunes filles puissent éviter les avortements à risque, les infanticides, la planification familiale est incontournable.

Nos stratégies de communication doivent ainsi être revues pour toucher cette tranche d’âge de la population qui a été laissée en rade. Mais, nous ne pouvons pas le faire sans les parents et les religieux. Car il y a encore dans nos pays le poids des pesanteurs socioculturelles. Nous devons être dans un mouvement national où les gens peuvent discuter de ces questions.

Justement, est-ce que le nouveau cadre stratégique de planification familiale intègre précisément les jeunes ?

Les interventions que nous avons eues à faire sur les jeunes sont essentiellement  basées sur la communication. Maintenant, il est question de savoir comment toucher les jeunes au niveau des écoles, comment sensibiliser les éducateurs, comment intégrer la santé sexuelle et reproductive dans les curricula de l’éducation et de la formation pour protéger les adolescents et les jeunes. Nous travaillons dans une approche multisectorielle pour voir comment adresser les questions de santé sexuelle des jeunes. Car la planification familiale est une intervention préventive et non curative.

Lors de la 5ème Réunion annuelle du Partenariat de Ouagadougou, les jeunes ont plaidé pour qu’on consacre, au niveau des pays membres, 15 % du budget des Plans d’actions nationaux de planification familiale à la Santé de reproduction des jeunes et des adolescents (SRAJ). Est-vous prêts, au Sénégal, à satisfaire cette demande ?

Nous sommes conscients qu’il faut mettre plus de ressources pour accompagner les jeunes. Nous avons, au Sénégal, un plan pour la Santé de reproduction des adolescents et des jeunes (Sraj) qui couvre la période (2014-2018). Mais, pour la planification familiale, le budget dédié à la communication, où nous ciblons les jeunes, peut prendre 25 à 30 %, parce que cela nécessite beaucoup de moyens.

Quelles relations avez-vous avec les Organisations de la société civile engagées dans la promotion de la planification familiale ?

Nous travaillons depuis de longues années avec les Organisations de la société civile. Ces dernières portent le plaidoyer et ont des activités avec l’offre de services. Nous travaillons beaucoup dans la mobilisation des fonds propres au niveau du pays pour des activités en rapport avec la planification familiale. Nous sommes aussi accompagnés par d’autres partenaires comme les parlementaires, le Conseil économique, social et environnemental. Ces différents acteurs portent des messages de plaidoyer au niveau des populations pour leur meilleure compréhension.

Propos recueillis à Abidjan par Maïmouna GUEYE