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Bénin : La Planification Familiale … Au Bout Des Risques

A la frontière bénino-togolaise d’Hillacondji, adopter ou faire adopter une méthode de planification familiale constitue des risques aussi bien pour les femmes que les agents de santé.

Ce 19 septembre 2018, un peu après onze (11) heures, la salle d’attente de la maternité d’Hillacondji, dans la commune de Grand-Popo, ville située à 90 km au sud-ouest de Cotonou, la capitale béninoise, était pleine de femmes venues adopter une méthode de planification familiale. Elles répondaient ainsi à la sensibilisation faite par le crieur public quelques minutes plus tôt et qui a consisté à expliquer en langue locale les avantages de l’acte. « A peine le crieur public a fini que nous avons reçu des femmes qui ont adopté des méthodes selon leur convenance et leur état de santé. Au total dix (10) femmes se sont faites placer des implants. D’autres ont fait d’autres options », explique Diane Kindohoun, la quarantaine, infirmière brevetée et responsable de ce centre sanitaire. Mais elles toutes n’ont pas pu adopter une méthode. Beaucoup sont reparties car n’ayant pas été convaincues sur les préjugés qu’elles avaient quant aux éventuels effets secondaires de la planification familiale.

Cette stratégie de mobilisation, elle l’adopte lorsqu’elle reçoit un stock de produits de contraception « offerts par (les) Organisations non gouvernementales » et destinés à être utilisés gratuitement pour les patientes. C’est ainsi qu’elle a pu inscrire dans son cahier de suivi des femmes sous contraception, quarante-deux (42) personnes en juillet 2018, quarante (40) en août 2018, quarante-trois (43) en septembre 2018 et trente-trois (33) personnes les vingt-deux (22) premiers jours d’octobre 2018.

« Nous éprouvons beaucoup de difficultés à mobiliser les femmes à cause des pesanteurs socioculturelles. Si ce n’était que la difficulté à faire venir les femmes vers nous, nous pouvons supporter facilement. Nous sommes souvent l’objet de menaces voire d’agressions physiques de la part des parents et époux qui nous accusent d’inciter leurs femmes ou filles à l’infidélité, à l’adultère », poursuit la responsable de la maternité. Une maternité qui manque de beaucoup de matériels de travail.

Agents de santé violentés !

« A mi-octobre 2018, n’eût été mon calme et le profil bas que j’ai rapidement fait, le père d’une de mes clientes à qui j’ai posé un implant m’aurait physiquement agressé. Alerté par le vacarme, presque tout le quartier s’était porté vers l’hôpital. Devant la foule réunie, le père m’accusait de vouloir empêcher sa fille de continuer à procréer. Ses menaces de tout genre n’ont pas permis de le convaincre. J’ai dû retirer l’implant», se souvient Diane soutenue par sa collaboratrice et collègue. Son tort, c’est d’avoir répondu favorablement à la volonté de cette cliente d’adopter une méthode de contraception. A vingt-deux (22) ans, la dame était déjà mère de deux enfants de pères différents. Encore à la charge de son père aux moyens modestes, elle avait exprimé son désir de vaquer à des activités génératrices de revenus pour un mieux-être de sa progéniture avant de s’engager plus tard dans une relation conjugale si cela advenait, selon les propos de l’infirmière.

L’infirmière ne manque pas d’exemples pour illustrer les violences qu’elle subit du fait de l’exercice de la planification familiale. « Quelques mois plus tôt, c’était des agressions, cette fois-ci plus intenses, d’un époux. Après trois gestes dont le dernier était des jumeaux, la mère de quatre (4) enfants s’était volontairement et discrètement venue à nous, à l’insu de son époux pour une contraception. Mais quelques semaines après, par mégarde, elle a laissé la carte à la vue de son époux. Et c’était la débandade. Elle en a eu pour son compte à la maison et le reste de la colère a été déversé sur nous. N’ayant pas de choix, nous lui avons retiré l’implant. Conséquence : elle vient de faire un cinquième enfant. Le paradoxe, c’est elle seule qui assume les charges dans le foyer », fait-elle également savoir. Et les cas sont légion.

Mais ces réalités ne découragent pas les professionnelles de la santé. Pour éviter les représailles, femmes et agents de santé adoptent des codes de communication qui ne peuvent être compris des époux lorsqu’elles s’appellent au téléphone ou lors des visites à domicile. Certaines clientes préfèrent laisser les cartes de suivi au niveau de la maternité.

Les femmes également !

Ce ne sont pas seulement les agents de santé qui sont mis en difficulté du fait de la planification familiale, les épouses aussi.

Vendeuse d’igname frite, de viandes et boissons à quelques mètres de la barrière délimitant la frontière du côté du Bénin, dame X (elle préfère l’anonymat), a cinq (05) enfants. A trente-cinq (35) ans environs, elle dit vouloir se consacrer uniquement à ses activités commerciales qu’elle exerce presque vingt-quatre (24) heures sur vingt-quatre (24), n’ayant qu’à peine trois (03) heures de sommeil par jour. Ses accouchements successifs sont étalés sur huit (08) ans, et elle en garde encore des séquelles. « Ce n’était pas facile. A peine je finis d’allaiter un enfant que je tombe encore enceinte d’un autre. Et il me faut travailler pour subvenir aux besoins des autres enfants. Si ce n’était pas cela, j’aurais beaucoup réalisé. Ce qui n’est pas le cas actuellement », confie-t-elle toute triste. Puis elle poursuit : « je n’ai pas pu faire la planification parce que ma belle-famille et mes beaux-parents s’y sont opposés. Quand je l’avais fait discrètement et que mon homme l’a découvert, il m’a bastonné et j’y ai renoncé au risque d’être répudiée ».

« Ce n’est pas à la femme de décider du nombre d’enfants et de quand les avoir. Mon couple est au troisième geste et ce n’est pas encore la fin. A moi de décider », clame Léon, la trentaine, conducteur de taxi-moto dans la zone frontalière.

Sous l’emprise des pesanteurs

Au Bénin, les pesanteurs socioculturelles empêchent les femmes de faire le pas décisif vers l’adoption de la contraception. Elles craignent notamment les violences. Selon une étude du ministère en charge des Affaires sociales, qui date de 2009, au Bénin, les violences basées sur le genre touchent les femmes non instruites (89 %), celles vivant dans un régime polygamique (87 %), et issues des ménages pauvres (86 %), les filles non scolarisées (79 %). Selon Fidèle Fifamè Houssou-Gandonou, docteure en théologie et éthique féministe, « les femmes au foyer sont fréquemment victimes de violences conjugales parce que les hommes continuent d’avoir une fausse compréhension sociologique et biblique de leur supposée suprématie sur elles. La femme a le droit d’adopter une méthode de planification familiale, pourvu que cela respecte la vie. La planification participe non seulement au bien-être de la femme mais aussi et surtout des enfants et du foyer dans son entièreté. Et en aucun cas, l’homme ne devrait s’y opposer », s’indigne-t-elle. La pasteure de l’Eglise protestante méthodiste du Bénin cite principalement l’abstinence et le coït interrompu.

Elle est soutenue par Dr Joannie Bêwa, médecin spécialiste en santé publique, mères et enfants, qui insiste : « les méthodes de planning familial permettent aux couples de choisir le nombre d’enfants qu’ils désirent, ainsi que le moment et l’espacement des naissances. Il existe des méthodes de contraception dites modernes, telles que les pilules orales, les progestatifs injectables, les implants, les dispositifs intra-utérins, les préservatifs féminin et masculin ».

Plaidoirie pour des services de planification plus proches !

Principale zone frontalière entre le Bénin et le Togo, Hillacondji est fréquentée au quotidien par des milliers d’hommes et de femmes. Les conducteurs de camions du corridor Abidjan-Lagos et de taxis y prennent siège parfois pour deux ou trois jours. Ils sont nombreux à reconnaitre tenir des rapports sexuels avec des filles de la localité, avec ou sans préservatifs. Ce qui nécessite la proximité de services de contraception et de sensibilisation pour un changement de comportement. « Moi je vends pendant trois jours avant d’avoir du repos. Avec le poids de la fatigue, je ne peux encore aller écouter les sensibilisations sur les méthodes contraceptives. Quand les gens (Ndlr : ONGs, Organisation ouest-africaine de la santé, etc) viennent parler, nous les écoutons. Mais celles qui vont faire la planification familiale nous disent qu’elles ont des absences de menstrues, l’hypertension et autres maladies », confie Afi, vendeuse d’igname frite, à la frontière, du côté du Togo. Et à sa voisine Justine, célibataire sans enfant, de proposer : « il nous faut des services de planification familiale proches de nous. Et surtout qu’on nous explique bien le but de la contraception et qu’on explique aussi à nos époux ».

Femmes et agents de santé proposent qu’à défaut d’installer un centre spécialisé dans la contraception au niveau de la zone frontalière, que les centres de santé d’Hillacondji du côté du Bénin et d’AdjidoAnèho du côté du Togo soient mieux équipés pour sensibiliser et donner les soins adéquats en planification familiale. Dans le même temps, les campagnes de sensibilisation devraient être renforcées, et programmées les jours de forte affluence.

Pour Dr Joannie Bêwa, « dans les pays en développement, plus de deux cents vingt-deux (222) millions de femmes souhaitent éviter les grossesses, mais n’utilisent aucune méthode de contraception moderne. Cette situation est souvent due à une offre de services de planification familiale insuffisamment disponible, inaccessible, ou trop coûteuse ».

Avec 12,5% de taux de prévalence en planification familiale selon le rapport préliminaire de l’Enquête démographique et de santé (EDSB 2017-2018), le Bénin compte 32% de femmes au foyer qui ont des besoins non satisfaits en matière de contraception. Toute chose qui ne permet pas au pays d’atteindre les ambitions de 20% de couverture qui devraient être atteintes en 2018.

Joël Codjo TOKPONOU

Publié le 02-11-2018 dans matin libre

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