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Droits sexuels et reproductifs: Le non-respect des engagements du Bénin pénalise sa jeunesse

Le chemin des adolescents (10-19 ans) et jeunes (15-24 ans) béninois vers l’effectivité de leurs droits sexuels et reproductifs est semé de nombreuses embûches. Alors que le compte à rebours des nombreux engagements pris par le Bénin en leur faveur est lancé, les 10-24 ans, et notamment les jeunes filles, sont plus que jamais exposés à de nombreux dangers qui compromettent leur avenir.

Assise devant un étalage de produits cosmétiques dans un marché de Bohicon, commune située à une centaine de kilomètres de Cotonou, la capitale économique du Bénin, Elise attend ses premiers clients de la journée.Le destin de la jeune femme de 22 ans a pris une autre tournure, cinq ans plus tôt. Elève au collège d’enseignement général de Bohicon, elle tombe enceinte d’un élève comme elle. « C’est arrivé par accident. Je n’utilisais pas de contraception. Je n’ai pas voulu me confier à ma mère parce que j’avais peur de sa réaction car quand je lui posais des questions sur la sexualité, elle me renvoyait et me disait seulement de ne pas fréquenter les garçons », explique-t-elle. Après avoir donné naissance à une fille, Elise reprend le chemin du collège mais au bout d’un an et deux mois, tombe enceinte à nouveau. Son fils né, elle décide de poursuivre. Mais face aux difficultés à assumer ses études et la responsabilité de deux enfants en bas-âge, elle abandonne l’école. « C’était devenu très difficile pour moi. Je ne m’en sortais plus. Je n’arrivais plus à retenir les cours et à prendre convenablement soin de mes enfants âgés de 4 ans et demie et 2 ans et demie», explique-t-elle. Michel, le père de ses enfants est lui aussi contraint d’entrer dans la vie active pour nourrir sa famille. A 16 ans à peine, Martha est enceinte de plusieurs mois après son tout premier et unique rapport sexuel. « Mon copain est un élève. Il m’a dit qu’on va faire l’amour. Je lui ai demandé de porter un préservatif. Il a dit qu’il n’en n’avait pas. C’était la seule fois. Et je suis tombée enceinte », raconte Martha. La métamorphose de la « fillette » en future mère est saisissante et choque. L’adolescente vit toujours chez ses parents. Elève en classe de 3e au Ceg 4 de Bohicon, elle a décidé de poursuivre ses études, même si elle avoue avoir du mal à supporter le regard et les réflexions des élèves du collège: « ça me gêne et j’ai honte ». Mais au-delà de la honte et du chagrin,l’atmosphère délétère qui prévaut à la maison lui fait mal. « Papa a changé. Il ne me répond pas quand je lui dis bonjour. Maman essaie de parler avec moi», regrette la jeune fille. Les cas d’Elise, Michel et Martha sont loin d’être particuliers au Bénin où, l’ineffectivité des droits sexuels et reproductifs desadolescents et jeunesles exposent à des problèmes qui entravent leur épanouissement. Le droit à disposer de leur corps, à mener une vie sexuelle sans violence et à décider librement d’avoir ou non des enfants et leur nombre n’est pas effectif pour ces jeunes filles béninoises qui font face aux grossesses précoces non désirées. Le phénomène bat son plein et a investi les établissements scolaires.

Une épidémie de grossesses en milieu scolaire

Selon des statistiques du ministère des Enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle, 2763 grossesses ont été enregistrées dans les établissements scolaires du Bénin au cours de l’année scolaire 2016-2017. Il est en progression dans certaines communes comme à Tchaourou, à environ 300 kilomètres de Cotonou. Dans son article « Grossesses en milieu scolaire dans l’arrondissement central de la commune de Tchaourou (Bénin) », Timar Samson Gbaguidi rapporte que cet arrondissement est passé de 46 grossesses l’année 2013-2014, à 50 en 2014-2015, puis 59 en 2015-2016. Au Ceg de Tchatchou, toujours à Tchaourou, « entre octobre 2016 et avril 2017, sur 18 grossesses 14 ont été enregistrées dans les classes de 6e et de 5e», renseigne Cubias R. Anago, ex chef du centre de promotion sociale de Tchaourou. A Goro, dans la même commune cinq des dix grossesses enregistrées dans le Ceg au cours de l’année 2016-2017 concernaient des élèves de la 6e, « enceintes déjà avant d’avoir franchi les portes du collège », selon Joseph D. Biaou le surveillant général. Ces grossesses précoces non désirées, qui sont le lot des adolescentes et jeunes non scolaires, se soldent aussi par des avortements pratiqués dans des conditions d’hygiène douteuses avec à la clé des complications pouvant conduire à la mort, en raison du jeune âge de la fille, et sa mise à l’écart dans la société. Selon Ganiatou Wassi, superviseure de l’Ong Action pour le développement et l’épanouissement de la famille (Adef), opérant à Tchaourou, les auteurs des grossesses en milieu scolaire se retrouvent surtout parmi les élèves. « Aujourd’hui, ce sont les artisans et les élèves qui sont auteurs des grossesses, et les élèves battent le record » explique-t-elle, pointant la précocité sexuelle dans un pays où les indicateurs sur la situation des adolescents et jeunes, de manière globale, n’est pas des meilleures.

Le rapport final de l’« Analyse situationnelle de la santé des adolescents et jeunes y compris la santé sexuelle et reproductive dans l’espace CEDEAO» publié en février 2016 par l’Organisation Ouest-Africaine de la Santé (OOAS), fait observer que les adolescents et jeunes du Bénin, à l’instar de ceux des autres pays de la sous-région, « souffrent d’un manque crucial d’information saine, et adoptent des comportements et modes de vie néfastes à une bonne santé ». Selon ce même rapport, ils adoptent des comportements à risque allant de rapports sexuels non protégés et précoces à une faible utilisation de la contraception en passant par le sexe transactionnel, le multipartenariat sexuel, la faible utilisation de méthodes contraceptives ou de l’utilisation de condoms. A ceci s’ajoute une faible connaissance du VIH-SIDA. En septembre 2018, l’Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique (INSAE) a publié les résultats préliminaires de la cinquième Enquête démographique et de santé au Bénin (Edsb-V) 2017-2018. Selon ces résultats, une adolescente sur cinq (20 %) a déjà commencé sa vie reproductive: 15 % ont déjà eu une naissance vivante, et 5 % sont enceintes d’un premier enfant. La même enquête fait constater que la proportion d’adolescentes ayant déjà commencé leur vie féconde augmente rapidement avec l’âge, passant de 2 % à 15 ans à 47 % à 19 ans, âge auquel 38 % des jeunes filles ont déjà eu une naissance vivante. A ceci s’ajoute une mauvaise connaissance du VIH-SIDA, l’Edsb-V relevant que parmi les jeunes femmes de 15-24 ans, 15% sont considérées comme ayant une connaissance complète du sida contre 19% chez les hommes.

Le gouvernement interpellé

Le Bénin est membre du Partenariat de Ouagadougou signé en février 2011 par les 9 gouvernements des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest et leurs partenaires techniques et financiers. L’objectif principal du Partenariat est d’atteindre au moins 2.2 millions d’utilisatrices additionnelles de méthodes de planification familiale les pays concernés d’ici 2020. Le Bénin est aussi impliqué dans le mouvement FP 2020 lancé en 2012 lors du sommet de Londres sur la planification familiale, sommet au cours duquel plus de 20 Etats se sont engagés à surmonter les obstacles politiques, financiers, socioculturels à l’accès des femmes à l’information, aux services et l’approvisionnement en contraceptifs. Le pays a ainsi pris de nombreux engagements dont certains spécifiques à la santé de la reproduction des adolescents et jeunes. Le 15 novembre 2013 lors de la Conférence internationale sur la planification familiale tenu à Addis-Abeba en Ethiopie, il avait souscrit à huit engagements dont celui de « rendre gratuit d’ici 2015 l’accès aux méthodes modernes de contraception dans les formations sanitaires publiques pour la couche des adolescents et jeunes ». Le 11 juillet 2017 au sommet sur la planification familiale à Londres, au Royaume-Uni, le pays a revu ses ambitions à la hausse : « fournir gratuitement les services de planification familiale dans les établissements de santé publique à toute la population béninoise y compris les adolescents et jeunes d’ici la fin de 2019 ». A un an de l’échéance, cela n’est pas encore effectif. En effet, « la politique de l’exemption du paiement direct pour améliorer l’accès à l’offre de services de planning familiale aux adolescents et jeunes au Bénin » n’a toujours pas été adoptée. L’arrêté interministériel y afférent se fait toujours attendre. Ce qui n’est pas du goût des acteurs de la société civile intervenant dans le domaine des droits à la santé sexuelle et de la reproduction. Expert des politiques de jeunesse et de santé et membre du Réseau africain des adolescents et jeunes pour les questions de population et développement, Loukmane Tidjani ne cache pas sa déception. « Malgré le plaidoyer et la pression des organisations de la société civile intervenant dans le domaine, cette politique dont la mise en œuvre renforcera l’accès des adolescents et jeunes aux services de santé de la reproduction en général et de la planification familiale en particulier attend son adoption », se désole-t-il. Les sentiments sont les mêmes chez Nourou Adjibadé, le directeur exécutif de l’ONG Cercle de réflexion et d’actions pour le développement intégré et la solidarité (Ceradis-ONG). Ce dernier est monté au créneau plus d’une fois, pour interpeller le gouvernement. En août 2017, à la faveur d’une conférence de presse, M. Adjibadé invitait le gouvernement du Bénin à adopter dans les « meilleurs délais » cette politique. Plus d’un an après cette interpellation, Nourou Adjibadé est amer de constater que « ce n’est pas encore une réalité », surtout que cet engagement a été actualisé et étendu à toute la population. « Il ne faut pas que les engagements soient seulement pris sur papier, il faudrait que le ministère de la santé puisse mobiliser des ressources conséquentes afin de mettre, ne serait-ce qu’à la disposition des adolescents et jeunes au moins, les produits contraceptifs », estime-t-il. Au ministère de la santé, Gaston Ahounou, le chef du Service de planification familiale, santé des adolescents et jeunes de la Direction de la santé de la mère et de l’enfant (Dsme) se veut rassurant quant au respect de cet engagement avant la date butoir. « Cet engagement est en cours. Nous avons envoyé la communication y relative au ministère de la Justice qui nous l’a renvoyée avec ses amendements. Nous les avons intégrés et c’est déjà dans le circuit pour l’adoption. On espère qu’avant fin 2019, cet engagement sera respecté ».

Quid des autres engagements?

Au sommet de Londres, en dehors de la gratuité des services de planification familiale à toute la population béninoise, le gouvernement s’est aussi engagé à augmenter le budget alloué à l’achat des produits contraceptifs de 100 millions (US$172,001) à 250 millions de FCFA (US$430,000) en 2018. Cet engagement n’a pu être tenu. Gaston Ahounou le confirme : « On n’a pas atteint les 250 millions. On pensait le faire en 2018. Mais tout est mis en œuvre pour qu’on atteigne les 250 millions en 2019. On a même prévu 300 millions ». L’autre engagement est relatif à l’élargissement de la gamme des méthodes contraceptives de planification familiale au niveau communautaire, ycompris les contraceptifs injectables (Sayana press) dans les 34 zones sanitaires d’ici la fin de 2019. Sur ce point, Gaston Ahounou déclare que des efforts sont faits : « Depuis qu’on a pris cet engagement, on a élargi la gamme des produits. On a introduit l’Implanon, le Norlevo et nous couvrons 10 zones sanitaires avec l’injectable sous-cutané Sayana press. La phase pilote est terminée et nous sommes en train de travailler sur le marketing social et le secteur privé à but lucratif et confessionnel. C’est après ça qu’on verra s’il faut passer à l’échelle en 2019 pour l’utilisation au niveau communautaire et dans les centres de santé ». L’engagement de faire passer le taux de prévalence contraceptive de 17% en 2017 à 22% en 2020 (de 5,4% à 10% pour les adolescents et jeunes de 15 à 24 ans), est en revanche loin d’être atteint. Le taux de prévalence contraceptive stagne. De 12,5% selon l’enquête MICS de 2014, ce taux tourne autour de 12,4% selon les résultats préliminaires de l’Edsb-V.

Flore NOBIME

Publié le 26-10-2018 dans l’évenement précis

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