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L’état actuel de la planification familiale au Bénin avec Dr Robert-Franck Zannou

Fécondité au Bénin, impact de la pauvreté, mortalité maternelle, planification familiale… La situation au Bénin est encore loin de l’idéal. Dr Robert-Franck Zannou, Gynéco-obstétricien, Directeur de la Santé la Mère et de l’Enfant (DSME) répond sans détour aux questions de Banouto dans cette interview réalisée en fin de matinée du vendredi 06 septembre à son bureau sis au ministère de la santé à Cotonou.

Banouto : Aujourd’hui, quelle est la situation de la mère et de l’enfant au Bénin?

Dr Robert-Franck Zannou : Actuellement au Bénin, on pourrait dire que la santé de la mère et de l’enfant n’est pas reluisante. Selon l’EDS V, le taux de décès maternel est 391 pour 100.000 naissances. Malgré tout ce que le gouvernement fait et les efforts des partenaires techniques et financiers, nous n’arrivons pas de façon significative à réduire le taux de décès maternel. Ça nous interpelle à tous les niveaux.

Quels sont, selon vous, les facteurs qui expliquent cet état de chose ?

Il y a plusieurs facteurs. La santé de la mère et de l’enfant n’est pas seulement un problème des hommes de santé. Il y a la communauté, les leaders religieux et même les autres secteurs connexes qui doivent travailler pour. Si la route n’est pas bonne pour la conduire à l’hôpital, lorsque la femme est en travail, elle peut avoir des dégâts en cours de chemin. Si la femme ne se nourrit pas correctement, il y a l’anémie qui pourrait conduire à la mort surtout qu’on sait qu’au pays, le sang est devenu problème.

Est-ce que le niveau de pauvreté dans le pays n’est pas un facteur ?

Le niveau de pauvreté aussi est un facteur. Mais, le dire tout simplement comme ça, les gens n’y comprendraient pas grand-chose. Il faut se demander combien d’enfants une famille peut disposer. Je peux être pauvre et avoir un enfant que je suis en mesure de supporter, comme je peux être pauvre et avoir huit enfants.

Pourrais-je avoir les moyens pour les supporter ? C’est évident qu’avec la pauvreté qui est déjà là, on ne pourra pas supporter tous ces enfants. Du coup, ces enfants n’auront pas une bonne éducation et cela va impacter le développement économique.

La dernière enquête démographique de santé affiche un indice synthétique de fécondité qui est de 5,7 enfants par femme au Bénin. Dites-nous ce qu’est la fécondité.

La fécondité, c’est la capacité de se reproduire et d’assurer la perpétuation. C’est le contraire de la stérilité. En démographie la fécondité s’explique par un indice égal au nombre moyen d’enfants nés-vivants rapporté à la population féminine en âge de procréer.

Que comprendre alors de l’indice synthétique de fécondité qui est de 5,7 enfants par femme au Bénin ?

Ça voudra dire qu’un ménage béninois attend six enfants. Il sera question de savoir si le ménage même est disposé à pouvoir entretenir autant d’enfants. Pour l’Etat, des enfants à bas âge n’apportent rien financièrement puisqu’ils ne sont pas en mesure de travailler. Ça voudra dire qu’il y a assez de bouches que l’Etat va nourrir et ça va agir sur l’économie. Les familles ont à choisir le temps et l’argent à consacrer à l’éducation de ces enfants. L’augmentation conduira à plus de pauvreté et moins d’investissement dans l’éducation.

Vous avez parlé de l’augmentation de la pauvreté de façon générale. Spécifiquement, qu’est-ce que l’indice de 5,7 enfants va induire pour la femme, elle-même ?

Il y aura l’accroissement de la population et l’accroissement de la pauvreté. Nous ne pouvons donc pas capturer le dividende démographique et on ne peut pas décoller.

Pour une femme, quelles sont les charges d’une maternité ?

Lorsqu’une femme tombe enceinte, ça veut dire que pendant au moins, 9 mois, elle n’a plus concrètement quelque chose à faire. Et après l’accouchement, elle doit supporter cet enfant. C’est une charge énorme. Et, excusez-moi du peu, pour les femmes qui font beaucoup d’enfants, ça pourrait être une charge qui va vraiment peser sur elles.

Aujourd’hui, quels sont les moyens qu’on a de pouvoir réguler un tant soit peu, la situation ?

On ne refuse pas à une femme de pouvoir faire autant d’enfants qu’elle veut. Pour réguler, il faut la planification familiale. Ceci permet au couple et à la femme de choisir la taille de leur famille, mais aussi de déterminer l’espacement des naissances.

En outre, la garantie d’un accès aux méthodes contraceptives est essentielle pour assurer aussi bien l’autonomie et le bien-être des femmes et des enfants.

La planification familiale est un pilier de développement. Lorsque vous investissez un franc dans la planification familiale, vous récoltez 17 francs. La planification familiale agit sur la réduction du taux de mortalité néonatale.

Où en sommes-nous au Bénin par rapport à la panification familiale ?

Malgré tous les efforts, nous ne sommes pas allés très loin. Nous sommes actuellement à 12% de taux de couverture, bien en deçà du taux de 21% que nous avons pris l’engagement avec l’UCPO d’atteindre d’ici 2021 dans le cadre du Partenariat de Ouagadougou qui réunit les pays de la CEDEAO.

Pourra-t-on atteindre le niveau des 21% à l’horizon 2021 ?

J’étais optimiste. Mais à ce que je vois, on ne pourra pas l’avoir. Toutefois, si nous devons l’avoir, les journalistes doivent aider à parler de l’importance de la planification familiale au public.

Vous relevez un défaut de sensibilisation ?

Je dirai plutôt, un manque de sensibilisation. L’Etat et partenaires techniques et financiers en font beaucoup. Il faut maintenant que ça soit porté par le quatrième pouvoir comme on le dit, que sont les journalistes.

Vous estimez que c’est aux journalistes de faire ce travail ?

Aussi. C’est tout le monde qui doit se mettre dans la bataille.

Dites-nous, quelles sont aujourd’hui, les barrières à l’adoption des méthodes de planification familiale chez les femmes ?

Il y a les pesanteurs socio-culturelles. Il y a la méconnaissance même de ce qu’est la planification familiale avec les mauvaises langues.

Quelle est la dynamique d’adoption en milieu urbain et en milieu rural ?

En milieu urbain, je crois que les femmes ont l’information et elles peuvent facilement accéder à la planification familiale. En milieu rural, il y a le poids de l’analphabétisme qui fait que les femmes n’adhèrent pas. Il y a aussi la pauvreté. C’est difficile pour elles d’aller adopter une méthode de planification avec leur propre argent et elles ne le font.

Les femmes constituent 52% de la population béninoise. Comment peut-on faire pour qu’elles puissent véritablement contribuer au développement économique du pays ?

Les femmes font déjà beaucoup de choses. Actuellement, aucun homme ne peut subvenir aux besoins d’un ménage tout seul. Elles contribuent déjà. Mais, elles contribueront davantage si elles planifient le nombre d’enfants qu’elles pensent pouvoir supporter. Il y a donc la planification familiale. Si des pays comme la Corée qui était plus pauvre que nous sont passés devant nous en termes de développement, c’est parce qu’ils ont adopté la planification familiale. On ne refuse pas à une femme d’avoir le nombre d’enfants qu’elle veut. Même dans les écoles, il faut parler des méthodes de contraception pour éviter les grossesses précoces, les avortements clandestins.

Vous confirmez donc l’hypothèse selon laquelle, l’accroissement de la fécondité est un facteur aggravant de la pauvreté chez les femmes ?

Oui ! Ça, c’est vrai. Le niveau élevé de la fécondité est un facteur aggravant de la pauvreté pour la femme et tout le ménage.

Combien coûte en moyenne une maternité ?

On ne peut pas quantifier. Ça varie d’une femme à une autre. Il y a des femmes enceintes qui n’ont pas de signe de malaise et avec peu d’argent, accouchent. Il y a d’autres femmes qui, compte tenu de la fragilité de leur état de santé, nécessitent plus de dépense. Au Bénin, l’Etat a renduit gratuite la prise en charge de la césarienne. Ça a réduit le coût.

Des informations que vous avez à votre niveau de décision, combien d’enfants pourrait avoir une femme dans le contexte béninois pour qu’on puisse résorber un tant soit peu, la pauvreté ?

Je pense que c’est une question laissée à la sagacité de chaque ménage.

Est-ce qu’il faut que le Bénin en arrive à la limitation des naissances ?

Ça, c’est une question piège. Non ! Ce que nous voulons que nos parents retiennent au Bénin, c’est que chaque parent peut faire le nombre d’enfant qu’il veut au moment où il veut, mais, qu’il ne soit pas surpris par une grossesse.

D’où la planification familiale. Si quelqu’un sait qu’il peut supporter cinq enfants, il planifie pour que ça ne le surprenne pas.

Est-ce que notre pays a une politique de contrôle de la fécondité ?

Pas encore à ce que je sache. Avoir une politique de fécondité voudra dire qu’on impose aux couples d’avoir un tel nombre d’enfants. Non ! On n’impose pas. Mais on sensibilise et on appelle à l’adoption des méthodes de la planification familiale.

L’Etat étant garant du bien-être général des populations, est-ce qu’il ne peut pas lui arriver d’avoir une politique de contrôle des naissances compte-tenu de notre niveau de développement ?

C’est une question un peu compliquée. On peut dire que le gouvernement participe au bien-être et assure la santé de la population. Donc c’est à la population d’être éveillée, éduquée et de savoir quel choix opéré.

Est-ce que le parlement qui représente le peuple peut légiférer en la matière ?

Sur ce point, c’est un peu de la politique. Pas même un peu, c’est vraiment un sujet politique. Quand on tient compte de nos réalités socio-culturelles, ça peut arriver, mais pas en notre temps, à notre génération.

Et ici à cette Direction à la tête de laquelle vous êtes, le contrôle des naissances n’est pas pour vous un moyen de veiller à la santé de la mère et de l’enfant ?

Quand vous parlez de contrôle, ça voudra dire que je dois passer dans chaque ménage et voir combien d’enfants il y a pour intimer l’ordre de ne plus en faire.

Ne peut-on pas fixer des règles ?

Non ! On ne peut pas fixer des règles, mais expliquer aux gens. C’est pourquoi la planification familiale est là. On ne peut pas imposer un nombre d’enfants. On laisse ça à la conscience de chacun.

Vous verrez des gens nantis qui vous diront qu’ils veulent avoir deux ou trois enfants. Par contre, il y a d’autres personnes qui peuvent avoir des dizaines de personnes dans un petit local sans s’en soucier.

Mais, est-ce que l’Etat ne peut pas limiter les gens même s’ils veulent en faire alors qu’ils n’ont pas les moyens de supporter ?

Non ! De toute façon, on n’est pas encore arrivé là.

Alors, vous l’avez soutenu, le taux élevé de fécondité est un facteur aggravant de pauvreté chez les femmes et les ménages. Comment peut-on l’expliquer plus simplement aux gens pour qu’ils le comprennent ?

Je vous donne un exemple banal. Un ménage aux revenus moyens qui a un enfant va mieux supporter cet enfant qu’un ménage de même type qui en a trois. Les charges financières du ménage à un enfant seront moindres que celles du ménage à trois enfants.

Quand on va envoyer les enfants dans une école privée où la scolarité coûte cent mille francs (100.000 F), ça va tripler au niveau du ménage à trois enfants. On constate alors qu’il y a un poids qui tire le ménage à trois enfants vers le bas. C’est ainsi que la fécondité élevée devient un facteur de pauvreté.

Alors, est-ce que vous avez des perspectives pour améliorer le taux de mortalité néonatale ?

Le gouvernement a déjà pris le taureau par les cornes en fermant les cliniques et les cabinets clandestins où des aides-soignants font des accouchements. Je crois qu’avec cette mesure, le taux de mortalité néonatale va s’améliorer dans notre pays. J’en appelle aussi à l’engagement de la communauté, des chefs traditionnels, chefs coutumiers et des journalistes pour la sensibilisation, parce que tout le monde doit s’impliquer pour qu’on améliore la santé de la mère et de l’enfant au Bénin.

Olivier Ribouis

Publié le 23-09-2019 dans banouto

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