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Sokhna Fall : « Une excision de plus est une excision de trop »

En matière de mutilations génitales féminines, l’Afrique occupe une place peu enviable. De fait, cette question est une préoccupation très importante de santé publique dans nombre de pays, surtout d’Afrique de l’Ouest, où la confusion entretenue entre croyances religieuses et tradition conduit à des tragédies insupportables. En la matière, le mois de février est celui de la commémoration de la journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations sexuelles féminines. 

Le 20 février, le Burkina Faso va commémorer la 16e Journée internationale tolérance zéro aux mutilations génitales féminines. Le thème de cette année : « traduire les décisions politiques en actions concrètes à la base pour accélérer l’atteinte de la tolérance zéro aux mutilations génitales féminines en 2030 ». Il s’agit de rappeler aux décideurs politiques nationaux, sous-régionaux et régionaux leur rôle dans la dynamique qui doit accompagner cette lutte. Au Burkina Faso, le taux d’excision, au plan national, pour les enfants de 0 à 14 ans a connu une baisse significative ces 15 dernières années, passant de 23 % en 2005 à 13 % en 2010, puis à 11,3 % en 2015, selon les autorités.

Fin octobre 2018, le pays a abrité la première conférence continentale sur les mutilations génitales féminines, en partenariat avec la Commission de l’Union Africaine et avec le soutien du programme conjoint FNUAP-UNICEF sur l’élimination des mutilations génitales féminines. « En ma qualité de champion de l’Union Africaine pour l’élimination de cette pratique, je m’engage à travailler en synergie avec mes collègues en vue de l’abandon total de cette pratique néfaste sur notre continent », avait déclaré le président Roch Marc Christian Kaboré, dans un discours en marge du 32e sommet de l’Union africaine, qui s’est achevé lundi dernier à Addis-Abeba, en Éthiopie.

Si cette question touche les populations sur le continent, elle en touche aussi d’autres du fait de l’accélération des migrations. Dans un tel contexte, le témoignage d’une experte sur les questions de MSF en Afrique et en Europe est précieux. C’est le cas de celui de Sokhna Fall, chargée de projets à l’ONG française Équilibres et populations (Equipop). Elle s’est confiée au Point Afrique.

Le Point Afrique : En quoi est-il important que la question de l’excision soit prise à bras-le-corps maintenant ?

Sokhna Fall : Les mutilations sexuelles féminines (MSF) sont une violation des droits humains des filles et des femmes, une forme de violence basée sur le genre et une violation des droits des enfants. Les MSF sont une question de santé publique. Deux cents millions de femmes et de filles sont victimes de la pratique dans le monde (UNICEF). Toutes les régions du monde sont touchées aujourd’hui du fait des migrations. L’ONU s’est fixé l’objectif de zéro excision d’ici à 2030 (ODD 5, cible 3), il faut donc accélérer les efforts. Une excision de plus est une excision de trop.

Les conséquences de la pratique sur la santé et la sexualité sont souvent graves : hémorragies pouvant entraîner la mort, infections, problèmes vaginaux et obstétricaux, fistules. Dans les villages d’intervention d’Équilibres et populations à Kayes, au Mali, et dans la région de l’est au Burkina, beaucoup de femmes vivent avec des conséquences des MSF : accolement des lèvres, kystes, cicatrices chéloïdes, incontinence urinaire, fistules, etc. Dans ces régions, le travail de l’ONG permet aux populations de faire le lien entre l’excision et les problèmes de santé des femmes et rend disponibles des soins pour les filles et les femmes.

Quelle est sa réalité aujourd’hui en Afrique, en chiffres mais aussi en termes d’impact social et culturel ?

La pratique de l’excision est concentrée dans 30 pays dans le monde, dont 27 sont en Afrique. Les six pays les plus touchés sont en Afrique. Selon l’UNICEF , 98 % en Somalie, 96 % en Guinée, 93 % à Djibouti, 91 % en Égypte et 89 % en Érythrée et au Mali. L’impact est énorme sur la santé physique et psychologique des filles et des femmes, leur statut et le respect de leurs droits.

Du fait des migrations, elle concerne aussi des filles nées dans les pays européens. Comment la question est-elle affrontée socialement et juridiquement pour y mettre fin  ?

En France, 53 000 femmes et filles sont touchées par l’excision. Les filles nées dans les années 80 étaient excisées en France. La pratique s’est arrêtée à la suite de l’arrêt du 20 août 1983 qui reconnaît le caractère criminel de la mutilation sexuelle. Le risque s’est déplacé sur les adolescentes au moment des vacances dans les pays d’origine. En effet, trois filles sur dix dont les parents sont issus de pays pratiquant l’excision sont à risque. Il y a donc bien des enjeux en France en termes de prise en charge médicale et psychosociale, d’accès au droit d’asile et de prévention.

La prévention, c’est ce que fait Équilibres et populations en France auprès des diasporas à travers le projet européen Let’s Change. Les diasporas doivent être au cœur des activités de prévention pour mettre fin aux MSF. On ne peut pas prévenir les MSF en France sans la participation des principaux(ales) concerné(e)s, les diasporas. Ainsi, l’ONG travaille avec 14 médiateurs et médiatrices de changement issus des diasporas. Ils et elles sont formés et mettent en œuvre des ateliers de sensibilisation au plus près des populations immigrées.

Dans votre démarche de sensibilisation, quelle place est accordée aujourd’hui à l’école dans vos divers dispositifs ?

L’éducation est un enjeu central à long terme. La pratique de l’excision persiste là où les taux de scolarisation des filles sont les plus faibles. Les filles dont les parents ont été scolarisés ont plus de chances de ne pas subir une excision. En Afrique, les animatrices du projet protéger les prochaines générations à Kayes font de la prévention primaire. Elles ont formé 100 enseignants dans cette région et sensibilisent les jeunes dans les écoles sur les MSF, les mariages d’enfants, les droits humains et le genre.

La Journée de lutte contre l’excision vient d’avoir lieu. Quelles sont vos raisons d’espérer une amélioration de la situation ?

Si le recul de la prévalence dans le monde annoncée par le British Medical Journal en novembre 2018 est à saluer, il faut garder en tête que les chiffres sont basés sur la déclaration des mères dans un contexte de pénalisation de la pratique. Le rapport souligne la nécessité de stratégies intégrées pour promouvoir l’abandon de la pratique.

En France, l’enjeu du travail décloisonné a été compris. Le 6 février 2019, à Paris, à l’occasion de la célébration de la 15e Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations sexuelles féminines, Équilibres Populations s’est jointe à un collectif de 14 associations intervenant dans les domaines de la prévention, de la protection et de la prise en charge médicale. L’événement a été l’occasion d’inviter des partenaires d’Afrique de l’Ouest à témoigner de la situation et des actions menées en Afrique. Il est primordial de construire des ponts entre secteurs d’activité et régions du monde si l’on veut mettre fin de manière durable et globale aux mutilations sexuelles féminines.

La pratique connaîtra un recul grâce au travail coordonné des acteurs de la société civile, l’application des lois et un meilleur accès à l’éducation dans les pays concernés par les MSF.

Publié le 18-02-2019 dans Point Afrique

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