Articles

« Je suis désolé, je parle français » : comment l’hégémonie del’anglais sape les efforts visant à transférer le pouvoir dans ledomaine de la santé mondiale

31 octobre 2024

Par Shani Turke, Marieme Fall, Marie Ba, Sokhna Aminata Diop, Mohamed Ly, Elizabeth Larson, Elizabeth Arlotti-Parish,
Sarah Nehrling

Introduction

Lors d’une conférence internationale sur la santé publique qui s’est tenue en 2022 et qui a réuni plus de 3 000 professionnel.le.s de la santé sexuelle et reproductive (SSR) du monde entier, un chercheur francophone a commencé sa présentation en disant: « Je suis désolé, je parle français ».

Bien que la conférence ait beaucoup promu les services d’interprétation anglaisfrançais, l’interprétation était de mauvaise qualité, et au début de sa présentation, le chercheur a appris que l’interprétation ne fonctionnait pas dans sa salle. Etant le seul intervenant francophone d’un panel de quatre personnes s’adressant à un public majoritairement anglophone, de nombreux participant.e.s ont quitté la salle dès le début de son intervention, certainement parce qu’ils ne parvenaient pas à le comprendre. Après la session, un participant francophone a demandé à son collègue assis à coté de lui d’ajouter des cours d’anglais au budget de son projet, estimant que la non-maîtrise de l’anglais – et non la mauvaise qualité des services d’interprétation – était le véritable obstacle à sa pleine participation dans le domaine. Dans un autre exemple, une organisation internationale basée aux États-Unis propose un cours de leadership annuel compétitif à son personnel international dans les bureaux pays répartis dans le monde entier, en précisant que la maîtrise de l’anglais est une condition d’admission.

Lorsque le personnel a soulevé des préoccupations quant au caractère exclusif de l’exigence de l’anglais, un organisateur du cours a suggéré que les non-anglophones devraient plutôt voir cette exigence comme une motivation pour améliorer leurs compétences linguistiques à travers ce cours exclusivement offert en anglais. Ces anecdotes illustrent de manière éloquente comment l’hégémonie de l’anglais – définie comme la domination de la langue anglaise sur d’autres langues – accentue les inégalités entre les professionnel.le.s anglophones et francophones de la SSR dans la recherche et la pratique.

Malgré le fait que les pays francophones représentent un pourcentage important des pays qui reçoivent des fonds des bailleurs qui financent les programmes SSR, les francophones restent isolés sur le plan linguistique.

En tant qu’auteurs.e.s de ce commentaire, nous formons un groupe diversifié et multilingue de professionnel.le.s africains francophones de la SSR et de leurs alliés. En tant que francophones qui expérimentons régulièrement ces inégalités, nous soutenons que l’hégémonie de l’anglais limite la représentation des populations dans leur diversité, alourdit le fardeau des groupes déjà défavorisés, s’oppose aux priorités mondiales de localisation et de transfert de pouvoir, et freine l’innovation en empêchant la diffusion des connaissances publiées dans des langues autres que l’anglais. Nous sommes conscient.e.s que l’hégémonie de l’anglais n’est pas spécifique à la communauté des professionnel.le.s SSR, tout comme les francophones ne sont pas la seule minorité linguistique. Cependant, nous nous concentrons sur l’exclusion de la langue française dans ce commentaire, étant donné notre position et la priorité accordée aux pays francophones au niveau mondial dans le domaine de la SSR. Malgré cela, nous reconnaissons qu’en plaidant pour une plus grande inclusion de la langue française, nous défendons une langue coloniale qui a également été utilisée pour exercer une domination mondiale et marginaliser les langues autochtones.

Avant la Première Guerre mondiale, le français était la langue universelle, et non l’anglais. En outre, pendant les 150 années de domination coloniale française en Afrique, les colonisateurs ont utilisé l’enseignement du français pour promouvoir les politiques assimilationnistes françaises. Alors que les pays africains accédaient à l’indépendance au milieu du XXe siècle, la France a promu la Francophonie, une idéologie d’identité culturelle partagée entre les nations francophones, afin de maintenir son influence et combattre la domination de l’anglais.9–11 Compte tenu de cette histoire, nous ne présumons pas que nos positions reflètent toutes les opinions sur l’hégémonie de l’anglais au sein de la communauté mondiale de la SSR. Au contraire, nous plaidons pour une meilleure inclusion de la langue française pour élargir la discussion sur la relation entre la langue et le pouvoir au sein de notre profession. Nous accueillons avec plaisir les opinions divergentes et la conversation multilingue qui en découlera.


https://partenariatouaga.org/wp-content/themes/t-ouaga/assets/img-news-letter

deco Plus d'articles deco

Demi-Finale du Concours de plaidoyer
4 décembre 2024
Demi-Finale du Concours de plaidoyer

Le concours de plaidoyer des associations de jeunes du Partenariat de Ouagadougou s’est déroulé lors de la deuxième journée de la RAPO 2024. Cette matinée mémorable a été marquée par la projection de 6 courts métrages produits par les associations demi-finalistes. Réalisées autour du thème « L’accès des jeunes aux services de planification familiale en […]

PLANIFICATION FAMILIALE, 433 000 NOUVELLES UTILISATRICES ENREGISTRÉES ENTRE 2023 ET 2024
4 décembre 2024
PLANIFICATION FAMILIALE, 433 000 NOUVELLES UTILISATRICES ENREGISTRÉES ENTRE 2023 ET 2024

La 13e Réunion Annuelle du Partenariat de Ouagadougou (RAPO) a débuté ce mardi 3 décembre 2024 à Dakar, réunissant plus d’une centaine de participants, en présentiel et en format hybride. Cet événement vise à évaluer les progrès accomplis en matière de planification familiale, partager des expériences et renforcer la coopération régionale pour atteindre les objectifs […]

Le Partenariat de Ouagadougou mise sur le financement domestique
3 décembre 2024
Le Partenariat de Ouagadougou mise sur le financement domestique

En Afrique de l’Ouest, 225 femmes meurent tous les jours en donnant la vie et pour chaque femme qui meurt, il y a environ 30 autres qui souffrent d’infirmité. Ces taux de morbidité et de mortalité entrainent dans la sous-région près de cinq milliards de dollars de pertes de productivité. Cette sous-région est également caractérisée […]

deco Nos partenaires clés deco