2 mars 2022
Une mission de prise en charge des Fistules Obstétricales à l’hôpital Saint Jean-Baptiste s’est achevée, le vendredi 18 février 2022. Au cours de cette mission les 25 patientes qui se sont présentées ont été pris en charge. Ainsi pendant deux semaines un expert français s’est employée à soulager les patientes. Et quatre médecins ivoiriens, à savoir trois gynécologues et un chirurgien viscéraliste ont pu parfaire leur formation à ses côtés.
L’Hôpital Saint Jean-Baptiste de Bodo (HSJB) est un établissement privé de soins à but non lucratif au service de la population de Côte d’Ivoire. Il est situé sur l’autoroute du nord PK108, Bodo. Dans cet entretien, Olivier Verdin, Assistant de direction de l’Hôpital Saint Jean-Baptiste, explique l’engagement de l’hôpital et ses partenaires pour la prise en charge des fistules obstétricales. « La fistule est l’un des exemples les plus révélateurs de l’inégalité d’accès aux soins de santé maternelle et jusqu’à récemment, l’un des plus cachés » et de rassurer ; « Il est possible de prévenir la fistule ». Entretien.
L’hôpital Saint Jean-Baptiste a accueilli pendant deux semaines, en ce mois de février, une mission opératoire destinée à soigner des femmes souffrant de la fistule obstétricale. Quel bilan pouvez-vous dresser ?
Le bilan de cette mission seconde mission est positif. Un expert français des opérations de fistules obstétricales est venu pendant 15 jours nous assister dans ce programme. C’est un chirurgien urologue, spécialiste reconnue de ces affections, qui réalise bénévolement chaque année plusieurs missions de ce type dans différent pays d’Afrique de l’Ouest.
En tout, 25 patientes se sont présentées et ont été pris en charge à l’hôpital. 19 ont pu être opérées et six (6) ne l’on pas été pour des raisons médicales. Ces femmes sont actuellement soit reparties chez elles soit en phase d’hospitalisation dans notre établissement.
Au niveau de la formation de nos professionnels nationaux, 4 médecins ivoiriens (3 gynécologues et un chirurgien viscéraliste) ont pu parfaire leur formation auprès de notre expert. La présence de fistules simples a permis aux médecins apprenant d’opérer directement sous sa tutelle. C’est aussi l’ensemble des services de Gynécologie et du Bloc Opératoire de l’hôpital qui ont pu profiter de l’expérience de notre expert.
Ces interventions chirurgicales étaient gratuites. Pourquoi tant d’attention autour de cette maladie ?
Cette affection touche majoritairement des femmes pauvres qui n’ont pas accès aux soins. Sans cette prise en charge gratuite il leur serait impossible de se soigner et d’espérer retrouver une vie normale. D’ailleurs parmi les femmes que nous avons reçues, plusieurs souffraient de cette affection depuis plusieurs années, quelques-unes depuis plus de 10 ans.
A quel point ce mal constitue un danger permanent pour la femme ?
Dans un premier temps, tant que des femmes ne seront pas pris en charge par des professionnels de santé pendant leur grossesse via les consultations prénatales (CPN) mais aussi lors de l’accouchement, il y aura un risque important qu’elles développent une FO ou pire. Pour rappel la mortalité maternelle en Côte d’Ivoire culminait encore à 617 décès pour 100 000 naissances (UNFPA) et était classé au 172ème rang sur 183 en 2015 (Banque Mondiale).
Dans un second temps c’est un mal qui ne peut se guérir seul. Une fois qu’une femme à une FO elle la garde jusqu’à sa prise en charge. Lors de notre première mission nous avons par exemple pris en charge une femme qui avait une FO depuis plus de 25 ans, avec les complications et les conséquences dramatiques sur les plans physique, psychologiques, sociales et économique que cette affection peut entrainer.
Quel est l’ampleur de la fistule obstétricale en Afrique subsaharienne et principalement en Côte d’Ivoire ?
Chaque jour dans le monde, plus de 800 femmes meurent à cause des complications liées à la grossesse. Pour chaque femme décédée, 20 ou plus ont des lésions ou sont handicapées. L’une des lésions les plus graves et les plus tragiques survenant d’un accouchement est la fistule obstétricale. II s’agit d’une perforation entre le vagin et la vessie ou le rectum, due à un arrêt prolongé du travail en l’absence de soins obstétricaux. Elle provoque une fuite d’urine et/ou de matières fécales par le vagin, et entraîne à plus long terme des problèmes médicaux chroniques.
Les effets sont souvent dévastateurs : le bébé meurt dans la plupart des cas et la femme souffre d’une incontinence chronique. Incapable de contrôler l’écoulement de l’urine ou l’excrétion de matières fécales, elle est souvent abandonnée par son mari et sa propre famille, voire bannie de sa communauté. Les femmes sont victimes de discrimination sociale portant dans les cas les plus dramatiques au suicide. Elles ont aussi des problèmes de santé. La fistule est l’un des exemples les plus révélateurs de l’inégalité d’accès aux soins de santé maternelle et jusqu’à récemment, l’un des plus cachés. On estime que 2 millions de femmes vivent avec cette lésion en Afrique Subsaharienne, en Asie, au Moyen Orient ainsi qu’en Amérique Latine et aux Caraïbes, et qu’environ 50 000 à 100 000 nouveaux cas surviennent chaque année. Il est pourtant possible de prévenir la fistule. Le fait qu’elle n’ait pas disparu témoigne des carences des systèmes de santé face aux besoins essentiels des femmes.
En Côte d’Ivoire on estime 44 602 femmes sont victimes de fistules obstétricales dans les zones reculées dans la communauté en 2020. Ce nombre n’étant certainement que la face immergée de l’iceberg.
Depuis 2012, la lutte contre les fistules obstétricales est organisée en Côte d’Ivoire à travers un accord entre le Ministère de la Santé de l’Hygiène Publique et de la Couverture Maladie Universelle, le Fond des Nations Unis pour les Population et l’Agence Coréenne de Coopération Internationale (KOICA). La stratégie s’appuie sur une approche multisectorielle qui implique des acteurs divers tels que l’Etat, les travailleurs sociaux, les ONG, les Educatrices de Pairs et des ex porteuses de fistules. Cette stratégie est basée sur trois axes qui sont la prévention, le traitement et la réinsertion socio-économique. A ce jour, concernant la partie traitement, 9 centres de prise en charge des fistules obstétricales ont été ouverts, mais aucun dans le Sud du pays.
C’est dans ce contexte que L’Ordre de Malte France et l’Hôpital Saint Jean-Baptiste ont été approché par l’UNFPA et le Ministère de la Santé de l’Hygiène Publique et de la Couverture Maladie Universelle. L’objectif étant de faire de l’hôpital un centre d’opération des fistules obstétricales.
Pour nous avons convenu avec nos partenaires l’organisation de deux missions par an animées par deux experts francophones pour :
Après un minimum de six missions, les experts pourront alors donner leur accord pour que la prise en charge des fistules obstétricales entre dans les opérations de routine faites à l’Hôpital Saint Jean-Baptiste de Bodo.
Quel est le coût d’une telle intervention chirurgicale ?
La prise en charge médicale d’une patiente (kit opératoire, fournitures médicale, consommables médicaux, frais du bloc opératoire, soins infirmiers, nourriture, ressources humaines médicales) s’élève en moyenne à 462 000 FCFA.
A part l’intervention chirurgicale, n’y a-t-il pas une autre solution ?
Dans 99% des cas la chirurgie est effectivement la seule solution. Cependant si la fistule est petite et prise en charge immédiatement il est possible parfois de la guérir par un sondage vésicale prolongé. Cependant cette prise en charge immédiate est rarement du fait de l’éloignement géographique et financier des centres de santé.
Comment se fait le suivi social de la patiente ?
C’est l’AIBEF qui se charge de ce suivi, avant pendant et après le traitement médical. Au niveau de la prévention, l’association forme des Agents communautaires et des porteuses de fistules guéries qu’elle met à contribution pour mobiliser et sensibiliser la population sur la question de FO.
Ainsi, à travers des témoignages, elles démystifient cette maladie, ce qui encouragent les victimes à se faire opérer. Les leaders communautaires, les Guides religieux et là les radios locales appuient cette sensibilisation. Les porteuses de fistules convaincues sont repérées et référées pour la prise en charge médicale ou la réparation FO dans les centres fistules.
Au niveau du traitement, l’AIBEF est présente sur le site charge médicale ou la réparation FO. Des visites en pré, per et post opératoires sont réalisées pour soutenir psychologiquement les femmes. Ces femmes sont pour la plupart des exclues de par leur mari et ou leur famille, elles arrivent déprimées cette action les aide à obtenir une certaine force mentale pour affronter le traitement.
Au niveau de la réinsertion socio-économique, même guéries, certaines porteuses de fistules ne partagent pas encore la vie communautaire, l’AIBEF avec l’appui des leaders communautaires et Guide religieux se charge de présenter ces femmes à leurs familles afin de restaurer leur position sociale et de recréer du lien.
La réinsertion sociale de l’ex-porteuses de FO passe ainsi par l’acceptation de la communauté et son association aux activités de la communautaire (marché, mosquée, église, être acceptée dans le village, réunions d’associations, autres activités…). Elle est ainsi apte à entreprendre une Activité Génératrice de Revenus (AGR) afin d’assurer son autonomisation économique. A cet effet, une formation est dispensée sur « la comptabilité simplifiée et la gestion des AGR ». Ensuite des kits d’AGR sont remises à certaines ex-porteuses conformément aux critères d’éligibilité préétablis. Un suivi est aussi réalisé pour l’aider jusqu’à une gestion acceptable de son activité.
A côté des experts occidentaux quel est l’apport de leurs collègues ivoiriens ?
Lors de l’opération nos médecins ivoiriens sont là pour apprendre. Ils observent et questionnent l’expert sur la prise en charge. Ils peuvent aussi se charger eux même de l’opération pour les cas simples sous le tutora de nos experts.
Lors des consultations pré et post opératoires ils sont d’une aide précieuse pour faire le lien entre les patientes et l’expert par exemple pour bien comprendre l’historique de la patiente ou amener des éléments explicatifs propres au contexte ivoirien.
Y a-t-il une politique de votre part pour doter la Côte d’Ivoire de plus d’experts ou bien estimez-vous que la collaboration soit la meilleure formule ?
L’hôpital Saint Jean-Baptiste n’est qu’un nouveau maillon dans la lutte contre les FO menées en Côte d’Ivoire par le MSHPCMU, l’UNFPA et KOICA. Cependant à notre niveau, la collaboration entre les experts français que nous faisons intervenir et nos professionnels ivoiriens permet justement de donner à l’hôpital Saint Jean-Baptiste l’expertise nécessaire à cette prise en charge. Cela permettra à terme à nos médecins d’être autonomes dans la prise en charge de ses affections et à la Côte d’Ivoire d’avoir un centre d’opération de fistule dans le Sud du pays.
Quelle est la capacité de votre établissement et les différents services y afférents ?
Depuis sa création en 2015, l’hôpital Saint Jean-Baptiste de Bodo a su se développer pour proposer une réponse adaptée aux besoins des populations locales. Il compte aujourd’hui plus d’une dizaine de spécialités médicales et paramédicales animées par des salariés, des fonctionnaires et des vacataires. L’hôpital Saint Jean-Baptiste est ainsi composé en différents pôles d’activité. Il a une capacité totale de 77 lits.
Notre hôpital est doté d’un pôle Urgence et son Unité de Soins Intensifs ; d’un pôle Mère-Enfant qui est une référence dans la région avec ses services de gynéco-obstétrique de pédiatrie et de néonatalogie ; d’un bloc opératoire (Trois salles pour la traumatologie, la chirurgie viscérale et la gynécologie, d’un pôle activité cliniques avec un service d’hospitalisation et de consultations externes (Chirurgie dentaire, Cabinet de kinésithérapie, Cardiologie, Consultation de médecine générale, Consultation d’ophtalmologie et chirurgie ophtalmique, Dermatologie, Diabétologie, Endoscopie digestive et gastro-entérologie, Médecine du travail, Néphrologie, ORL. A cela, il fzut ajouter le pôle médicotechnique avec le laboratoire d’analyses médicales et le service d’imageries médicales (radiologie, échographie).
En plus de la gestion de l’Hôpital Saint Jean-Baptiste de Bodo, quelles sont ces actions de l’Ordre de Malte France en faveur de la population ivoirienne ?
En Côte d’Ivoire, en plus de la gestion de l’Hôpital Saint Jean-Baptiste de Bodo, l’Ordre de Malte France soutien 17 centres de santé répartis dans le pays qui, en 2020, ont effectué 100 000 consultations et suivis plus de 22 000 enfants grâce aux programmes materno-infantiles. L’hôpital Saint Jean-Baptiste les soutiens en leur fournissant des intrants médicaux (médicaments, équipements) et en permettant à leur personnel de venir renforcer leurs compétences dans notre établissement.
Pour ce qui est de l’Hôpital Saint Jean-Baptiste, c’est un établissement privé à but non lucratif qui participe au service public hospitalier de Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, c’est près de 200 personnes qui travaillent dans l’enceinte de l’établissement. 165 y sont salariés dont 129 soignants. Si les autres sont employés par des entreprises sous-traitantes, qui gèrent la sécurité, l’entretien des espaces vert, le nettoyage et la restauration, ils ne font pas moins partie de la grande famille de l’hôpital. Médecins ou directeur, infirmières ou chauffeurs, sage-femmes ou comptable, soignants ou non, les membres du personnel de l’Hôpital Saint Jean-Baptiste travaillent ensemble, réunis autour d’un projet d’établissement ambitieux : permettre au plus grand nombre d’avoir accès à des soins de qualité grâce à un plateau technique performant et du personnel compétent.
Dans ce sens, et étant situé dans un bassin de population majoritairement jeunes et où près de 50% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté nous pratiquons des prix abordables, sensiblement équivalent aux prix pratiqués par dans le secteur public hospitalier du pays. Si depuis 2015 il est devenu un établissement de référence dans la région, l’hôpital Saint Jean-Baptiste est encore en phase de développement avec de nombreux projets qui ont pour but d’améliorer l’offre de soins disponible pour les populations. Comme en témoignent les nombreuses spécialités qui se sont ajoutés à notre offre de soins en 2021 (kinésithérapie, chirurgie ophtalmique, cardiologie, etc.) ou le début de notre engagement dans la prise en charge des fistules obstétricales.
Un bilan de l’année 2021 ?
En 2021, l’Hôpital Saint Jean-Baptiste c’est notamment, 26 716 consultations dont plus de 4 000 pour le seul service de pédiatrie ; 2 257 passages aux Urgences dont la prise en charge de 925 personnes ayant subi un accident de la voie publique ; l’accompagnement de 596 Accouchements dont 281 césariennes ; 767 opérations chirurgicales effectuées (traumatologie et chirurgie viscérale) ; 2 823 consultations prénatales ; 311 admissions en au service de néonatalité ; 1 366 patients traité pour le paludisme ; 4 666 vaccinations ; plus de 14 000 examens d’imagerie médicale (radiologie et échographie).
Salif D Cheickna
Publié le 02-03-2022 dans Fratmat
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