9 novembre 2020
La décentralisation des soins pré et postnataux a fait augmenter le nombre d’accouchements assistés tout en accélérant la planification familiale. C’est un jeudi comme tant d’autres à la Direction de la planification familiale du Niger.
Ce 17 septembre, dans cet établissement sanitaire de Niamey, la capitale, des dizaines de femmes prennent leur mal en patience avant d’entrer en consultation. « Vous voyez, il y a du monde. La vie a repris son cours, comme avant le premier cas de la COVID », déclaré le 19 mars, se félicite le Docteur Issoufa Harou, en arpentant le vaste hall animé par les cris de bébés. Le Directeur de la planification familiale du Ministère de la Santé laisse poindre un sourire en coin quand on lui parle des différents rapports qui, au printemps, prédisaient que le coronavirus allait être une catastrophe sur cette terre sahélienne.
Champion mondial de la procréation avec un taux de fécondité de 7 enfants par femme, le Niger cristallisait les inquiétudes dans la sous-région.
Tout le monde pensait que ça allait être un désastre, ici. Les gens disaient que les femmes enceintes ne pourraient pas être suffisamment suivies, qu’elles accoucheraient davantage chez elles et donc que le risque de mortalité maternelle et infantile allait augmenter. Mais rien de tout ça n’est arrivé. Au contraire, s’enorgueillit le médecin.
Sur ces terres reculées, c’est la décentralisation des soins post et prénataux qui permettent de traverser la crise sans hécatombe. Cette stratégie, en place depuis quatre ans, a été fortement renforcée depuis 2019. Ces derniers mois, 80 sages-femmes, 40 infirmières et trois gynécologues ont même été recrutés pour constituer et former, partout dans le pays, des « équipes mobiles » chargées d’assister les femmes enceintes directement à leur domicile. Un moyen de continuer à accompagner celles qui, au début de l’épidémie, préféraient mourir chez elles en brousse plutôt que d’aller au centre de santé, de crainte d’attraper le virus. Heureusement, nous avions déjà mis en place ces équipes mobiles, assure Aïshatou Zada, une des sages-femmes du programme, pour qui la peur liée à la pandémie aurait eu des effets dévastateurs bien supérieurs à la COVID lui-même.
Mme Zada, trente ans d’expérience dans la planification familiale, est un mentor au sein des équipes mobiles. Elle a participé au processus d’identification des agents de santé correctement formés qui ont ensuite été envoyés en brousse pour former les membres des futures équipes mobiles. Accompagnées pendant six mois sur le terrain, ces sages-femmes, seront capables de former leurs consœurs là où le besoin de professionnalisation est le plus criant.
Peu de femmes vont au centre de santé pour accoucher parce que les compétences des sages-femmes y sont souvent insuffisantes. Quand elles sortent d’école, elles n’ont pas encore pratiqué d’accouchement. Alors les équipes mobiles corrigent ce manque de pratique et cela change tout dans la relation à la patiente. Les femmes enceintes comprennent qu’elles sont mieux prises en charge, poursuit la formatrice.
Avec ce renfort, le nombre d’accouchements assistés a augmenté de 14 % entre mars et mai, passant de 10 300 à 11 800. Et ce, malgré la pandémie. Une petite prouesse pour ce pays sahélien où 75 % des femmes des zones rurales n’ont toujours pas accès à un accouchement assisté, selon le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA). Une lacune trop souvent mortelle puisque, au Niger, 2,4 % des bébés meurent avant l’âge d’un mois, selon la Banque mondiale. Une statistique qui cache des drames. Comme celui qu’a vécu Fatima A. il y a quatre ans.
A 20 ans, cette jeune Nigérienne du nord du pays, déjà mère de trois enfants, a perdu son nouveau-né quelques heures après avoir accouché, chez elle, avec l’aide de femmes du village. Il y a eu des complications. Mon bébé avait du mal à respirer. J’étais convaincue que les femmes allaient le sauver. Mais elles n’ont rien pu faire, soupire-t-elle. Fatima habite à 6 km du premier centre de santé.
Comme elle, la moitié des Nigériens sont à plus de 5 km d’un centre dans ce pays où la couverture sanitaire est globalement désastreuse. Quelque 900 centres de santé intégrés gèrent plus de 22,4 millions de citoyens dispersés sur un territoire grand comme 2,3 fois la France. Aussi, la décentralisation des soins pré et postnataux s’est-elle imposée comme la stratégie d’action la plus efficace.
Les équipes mobiles ont profité de leur rencontre avec les femmes pour leur parler de contraception. « Et si elles ne la souhaitent pas, on essaie de comprendre si c’est leur choix ou celui que leur mari leur impose. Car ce sont souvent les hommes qui font obstacle. Mais on leur fait comprendre que ce choix leur appartient, à elle. Que leur santé est en jeu, pas celle de leur mari », explique Aïshatou Zada, avant d’ajouter en souriant : on leur dit d’ailleurs qu’il n’est pas obligé d’être informé.
Malgré la pandémie, entre janvier et mai 2020, 195 000 méthodes contraceptives supplémentaires ont pu être fournies à des Nigériennes qui, jusque-là, n’en utilisaient aucune. C’est 1 500 de plus qu’en 2019. L’enjeu est de taille, puisque, selon le ministère de la santé, seulement 20 % des femmes utilisent une contraception alors que le Niger figure tout en bas du classement mondial des Nations unies en matière d’indice de développement humain (IDH) et qu’il devrait voir sa population tripler d’ici à 2050.
Morgane Le Cam
Publié le 07-11-2020 dans Le Monde
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