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Interview

Ramatoulaye Ndao : Spécialiste Recherche Suivi et Evaluation en santé sexuelle et reproductive

Qui est Ramatoulaye Ndao ?

Ramatoulaye Ndao est une chercheuse sénégalaise qui a accumulé plus de 10 ans d’expérience dans la planification, le développement de programmes, la recherche, le suivi et l’évaluation de programmes et projets de développement dans divers secteurs tels que la santé sexuelle et reproductive, la protection, l’autonomisation et l’employabilité des jeunes. Elle a occupé des postes à responsabilité au sein de grandes ONG internationales en Afrique, notamment en tant que responsable de la recherche, suivi et évaluation (RS&E) pour MSI Reproductive Choices Sénégal (2012-2017) et conseillère en RS&E pour IPAS pour l’Afrique francophone.

Elle a également travaillé en tant que conseillère en protection et autonomisation des jeunes pour SOS Children’s Village International, couvrant l’Afrique de l’Ouest, du Centre et du Nord. Plus récemment, elle a créé sa propre structure de recherche appelée Jokko Insights, qui fournit des services de recherche, suivi et évaluation. L’équipe de Jokko Insights possède une expérience avérée dans la planification, la conception, la mise en œuvre et l’évaluation de projets de développement dans divers secteurs tels que la santé, l’éducation, le genre, la migration et la jeunesse. Ramatoulaye est également spécialisée en évaluation d’impact et travaille actuellement en tant que Consultante et Country Lead pour le Sénégal pour Itad, dans le cadre de l’évaluation du projet FAST TRACK visant à accélérer l’autoprévention pour le changement politique dans les questions de santé sexuelle et reproductive.

Qu’est ce qui nourrit votre passion pour la santé sexuelle et reproductive, l’autonomisation des femmes et des jeunes ? 

L’intérêt pour l’autonomisation des femmes et des jeunes et les questions de santé sexuelle et reproductive traverse tout ma carrière, en particulier en ce qui concerne l’accès à la contraception et la lutte pour l’égalité de genre et la fin des pratiques néfastes à l’égard des filles. Cet intérêt remonte à mon adolescence, quand un drame familial a bouleversé ma vie et changé mes perspectives. À l’âge de 14 ans, j’ai perdu une cousine de 2 ans plus âgée que moi qui a tenté de faire un avortement clandestin suite à une grossesse non désirée. Cet événement malheureux m’a ouvert les yeux sur les drames liés à la difficulté d’accès aux services de santé sexuelle et reproductive de qualité en Afrique. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler quelques années plus tard en tant qu’assistante de recherche au Sénégal à l’hôpital Roi Baudoin sur un projet de recherche sur les soins après avortements. Depuis, cette passion ne m’a jamais quittée et je continue à évoluer dans ce domaine avec beaucoup de plaisir et de passion.

3- Que pensez-vous des initiatives d’autosoin, puisque vous travaillez actuellement sur l’évaluation d’un projet qui entend renforcer les initiatives d’autosoins en Afrique ? En quoi ces initiatives peuvent être utiles pour les populations surtout dans le domaine de la sante de la reproduction ?

L’OMS affirme qu’il existe un manque mondial de 7,2 millions de professionnels de la santé et ce nombre atteindra 12,9 millions d’ici 2035. La pandémie COVID-19 a encore aggravé cette situation. Des milliards de personnes dans le monde risquent de souffrir de cette pénurie de prestataires de santé, si rien n’est fait rapidement pour soutenir les systèmes de santé qui ces dernières années ont été lourdement mis à l’épreuve par la pandémie. Les initiatives d’autosoin font partie intégrante du système de santé, et il est important de les promouvoir afin d’améliorer leur performance. Le gouvernement du Sénégal l’a tellement bien compris, qu’il vient de valider son Guide National de l’autosoin qui va encadrer la politique des autosoins au niveau national.

Les interventions d’autosoin en matière de santé sexuelle et reproductive, ainsi que dans le domaine des maladies non transmissibles, ne sont pas nouvelles au Sénégal. Il existe déjà des initiatives pilotes telles que le contraceptif injectable sous-cutané Sayana® Press et l’auto-dépistage du VIH pour les populations clés. Cependant, les jeunes ne vont pas en priorité aux structures de santé pour des questions de sexualité, ils préfèrent souvent s’adresser à des proches. En renforçant les initiatives d’autosoin pour les jeunes, en leur fournissant des informations et des outils de communication adaptés, nous pouvons leur offrir des solutions plus confidentielles, moins invasives et plus sûres.

Vous avez été Conseiller en protection et autonomisation des jeunes Afrique de l’Ouest, du Centre et du Nord, en quoi consistait votre rôle et comment avez-vous contribué à l’autonomisation des jeunes ?

Mon travail consistait à accompagner nos 21 programmes pays à dérouler leur stratégie « jeunes ». Donc, je donnais un appui technique pour la conception, la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des stratégies, projets et activités de prise en charge et d’autonomisation des jeunes au sein de la région. Je contribuais aussi activement à l’élaboration des politiques et stratégies au niveau global en ce qui concerne les thèmes de la protection de la jeunesse, de l’autonomisation et de l’employabilité, en veillant à ce que les éléments contextuels régionaux soient intégrés dans ces politiques globales de l’organisation. J’assurais aussi la coordination avec les partenaires externes sur la question des jeunes.

En termes de réalisations, j’ai beaucoup travaillé à renforcer la participation des jeunes en poussant la création des conseils consultatifs de jeunes au niveau des bureau pays SOS Villages d’Enfants International et en veillant à ce que les décisions concernant la vie des jeunes soient prises avec leur participation, via ces conseils consultatifs. J’ai aussi avec nos équipes de plaidoyer pu faire entendre la voix des jeunes à travers diverses instances internationales comme par exemple l’Examen Périodique Universel, la Commission de la Condition des Femmes aux Nations Unies, etc. L’idée c’était de leur donner la parole pour défendre des sujets importants pour leurs développement : tels que l’accès à l’éducation, l’inscription des enfants à l’état civil, la lutte contre les mutilations génitales féminines, les violences basées sur le genre, l’accès à la contraception, entre autres sujets. En amont, j’ai eu à organiser aussi beaucoup de formations avec l’appui de partenaires, pour accompagner les jeunes, et renforcer leurs compétences dans le plaidoyer par exemple, développer leur compétences générales techniques et autres.

J’ai coordonné la mise en œuvre de projets d’employabilité des jeunes, en nouant des partenariats avec le secteur privé pour donner des opportunités de stages aux jeunes défavorisés. Nous avons aussi mis en place des programmes de mentorats avec des entreprises pour ces jeunes afin de les accompagner dans leur développement personnel et professionnel. En tant que chercheure, j’ai contribué à générer des évidences qui aident les gouvernements et les décideurs à orienter les programmes et stratégies pour mieux répondre aux besoins des jeunes et les femmes. Quand je travaillais pour Ipas, nous avons par exemple accompagner le gouvernement du Benin pour conduire une évaluation stratégique sur les grossesses non désirées les avortements et la contraception.

Quels sont vos conseils pour assurer un meilleur avenir aux jeunes africains au vue de vos acquis ? 

Pour assurer l’avenir des jeunes pour moi une éducation de qualité est la base. La question de l’éducation doit être prise à bras le corps, nous sommes en retard par rapport aux moyennes mondiales en termes d’éducation, en particulier en Afrique subsaharienne. Nous avons les taux les plus élevés d’exclusion scolaire selon l’UNESCO. Nos gouvernements doivent améliorer l’accès à une éducation de qualité. Nous devons aussi encourager l’éducation des filles et leur maintien dans le système éducatif. L’autre grand problème des jeunes c’est l’accès à un emploi décent. Les recherches ont montré que les deux déterminants principaux des migrations africaines sont les conflits armés et le manque d’opportunités sur le marché du travail. Chaque année, nous avons des milliers de jeunes qui se mettent dans des embarcations de fortune pour tenter de rallier l’Europe à la recherche d’une hypothétique vie meilleure. Nous devons avoir des politiques économiques qui favorisent la croissance économique et créent des emplois pour les jeunes. Si nous voulons rendre de continent attractif pour sa jeunesse nous devons investir sur elle, investir sur son éducation, sa santé, et son développement.

Nous devons aussi favoriser la participation citoyenne des jeunes. La question de la participation et de l’engagement des jeunes est cruciale. Il est important qu’ils puissent prendre part aux processus de prise de décision publiques afin qu’elles répondent à leurs attentes et besoins. Tout ce qu’on fera pour les jeunes sans les impliquer sera difficile à réussir. Dans le domaine de la santé de la reproduction, nous avons la chance d’avoir de plus en plus l’implication et l’engagement des jeunes pour relever les défis, à travers des associations. J’en connais quelques, avec lesquelles, j’ai eu la chance de travailler, comme les jeunes ambassadeurs SR/PF, Benin Health Movement, Afia Mama, SOS Jeunesse et Défis, pour n’en citer que quelques. Il est impératif de capitaliser sur cette dynamique et de soutenir ces structures.

L’égalité de genre est toujours un défi à relever, malgré toutes les avancées qu’il faut quand même souligner. Les gouvernements, les organisations de la société civile, les communautés doivent travailler un peu plus pour éliminer les obstacles sociaux-culturels, économiques, géographiques, politiques qui empêchent les jeunes filles d’avoir une éducation de qualité, et qui leur donne l’opportunité d’accéder à un emploi décent. Il faut aussi une politique de tolérance zéro, contre les violences basées sur le genre et les mutilations génitales féminines. L’accès a la contraception pour les jeunes filles qui le désirent aussi est important pour éviter les risques sanitaires liés aux grossesses précoces. Mais il y’a aussi une gamme d’avantages potentiels notamment des opportunités d’éducation de travail et de développement économiques. Comme j’aime le dire : la liberté d’avoir des enfants par choix est un droit humain fondamental, et favorise pleinement la productivité et l’autonomie des femmes.

Regardant vers l’avenir, quel est votre plus grand souhait pour la vie des femmes et des jeunes en Afrique de l’Ouest ?

Il est important d’investir dans l’éducation pour permettre à ces jeunes filles d’avoir les compétences et les connaissances nécessaires pour réaliser leur potentiel et prendre des décisions éclairées sur leur avenir. Nous devons aussi encourager la croissance économique pour créer des emplois pour les jeunes africains et les aider à réaliser leur potentiel. Enfin, il est important de faire en sorte que les politiques soient axées sur l’égalité des genres et les opportunités pour les femmes, pour que les jeunes filles aient les mêmes chances que les garçons de réaliser leur potentiel. Chaque jeune fille qui nait en Afrique doit avoir l’opportunité d’aller à l’école, de trouver un emploi décent, de faire des enfants par choix et non par contrainte ou par erreur. En travaillant ensemble, nous pouvons faire de l’Afrique un continent d’opportunités pour les jeunes, où ils peuvent rester, travailler et développer leur avenir.

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