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Abandon du mariage d’enfants au Burkina : Quand la loi rame à contre-courant

Au Burkina Faso, le Code des Personnes et de la Famille (CPF) favorise le mariage d’enfants. Depuis 2006, des activistes des droits humains réclament la révision de ce texte de référence en matière de mariage. Le processus de relecture dudit Code débuté en 2012 a connu une accélération pendant le Régime de la Transition de 2015. Un nouveau souffle qui devrait « légalement » sonner le glas du mariage d’enfants. Mais, jusqu’au premier trimestre 2019, ce n’est pas encore le bout du tunnel. L’on se demande combien de temps faudra-t-il pour réviser ce document de 123 pages. Sur les traces du Code des personnes et de la famille…

Tac ! Tac ! Tac !… Des claquements d’escarpins à talons plats se font entendre. Une silhouette marche. Elle avance à pas feutrés vers nous et se laisse progressivement découvrir dans la pièce aux murs roses et bleus décrépits.

Après un bonjour amical, elle prend place en face de nous. C’est Mireille. Son regard doux semble porter vers un objet invisible. Tee-shirt rouge, pagne versicolore, foulard noirâtre. Son accoutrement  en dit long sur son état d’esprit. Sa mélancolie remplit la pièce.

Elle a 16 ans. Mais, à l’âge de 15 ans, elle a failli porter un fardeau trop lourd pour ses épaules encore frêles : le mariage. Originaire d’un village de Kaya, Mimi, comme l’appellent ses proches, garde toujours en elle ce douloureux souvenir. En fait, elle a dû prendre ses jambes au cou, abandonnant son travail de restauratrice ainsi que sa famille, depuis que les yeux d’un prétendant sont tombés sur sa « forme Coca-Cola » et sa poitrine imposante.

Une rencontre fatidique

Un commerçant qui passe son temps à courir le cotillon a, en effet, repéré le physique élancé de Mireille. Il commence alors à nourrir le projet d’épouser la demoiselle de 15 ans, sans jamais le lui avouer directement. Pour arriver à ses fins, le grossiste de 58 ans déploiera un plan « machiavélique » : le « chewing-gum piégé », une vieille pratique qui fait toujours florès dans certains villages.

Mais, ce plan échouait à chaque tentative. Mireille n’a jamais mordu à l’hameçon. Elle a toujours pu éviter de mâcher la confiserie « empoisonnée » avec l’aide de certains proches bien avertis des pratiques occultes. Comme si « l’attaquant » savait que les parents de la petite Mimi rejetteront ses avances dès la première approche, l’homme décide cette fois-ci de jeter son bonnet par-dessus les moulins et plaquer toute la famille. Après quelques mois, il arrive à convaincre mystérieusement presque tous les membres de la famille de Mireille.

Dieu seul sait comment. Même le père et la mère de Mimi ont fini par plier l’échine. « Il a presque contraint mon papa. Les gens disent que s’il n’accepte pas ce mariage, il risque de mourir », soupire encore notre confidente. Pour faire échec au mariage précocement planifié par le quinquagénaire, Mireille se réfugie à l’Action sociale de Kaya.

Aux dernières nouvelles, elle apprend que son bourreau est séropositif. Elle est également informée du fait que sa marâtre serait complice de ce dernier. Pourquoi ? Face à cette question, une goutte de larme s’échappe inopinément des yeux de Mimi, glisse le long de sa joue gauche avant de choir sur son pagne multicolore.

« J’ai une fois entendu la deuxième épouse de mon père – qui n’a pas pu enfanter depuis cinq ans qu’elle est mariée – dire qu’elle est prête à tout pour me faire quitter cette cour. Et qu’elle n’aimerait pas que je réussisse dans la vie parce qu’elle aurait des antécédents avec ma maman », lâche la jeune fille, les yeux embués de larmes.

De l’Action sociale de Kaya, Mireille a été conduite dans la Capitale burkinabè. Elle a ainsi pu se sauver. Cependant, toutes les filles victimes de mariage précoce ou forcé n’ont pas cette chance… Des milliers de cas, l’on en trouve en grande quantité au Burkina Faso en particulier et en Afrique de façon générale.

Des statistiques effroyables

Il faut noter que le phénomène du mariage d’enfants a la peau dure dans le continent africain. Le Directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), Mabingué Ngom, révèle que quatre jeunes femmes sur dix ont été mariées avant l’âge de 18 ans dans cette partie de l’Afrique, et que parmi elles, une sur trois a été mariée avant sa quinzième bougie d’anniversaire.

Le taux de mariage d’enfants dans cette région d’Afrique est supérieur à celui de toutes les autres régions du monde. Six des dix pays affichant les taux de mariage d’enfants les plus élevés se trouvent en Afrique de l’Ouest et du Centre, confie-t-il.

Le Burkina Faso fait partie des dix pays africains les plus affectés par le mariage d’enfants. Selon les dernières données du Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), dans ce pays ouest africain, 10% des femmes sont mariées avant l’âge de 15 ans et 52% des femmes, soit une fille sur deux, avant l’âge de 18 ans. Ces chiffres concernent toutes les régions du « Pays des Hommes intègres ».

Les conséquences multidimensionnelles d’une complicité légalisée

Les défenseurs des droits des enfants sont formels face à la recrudescence des cas : marier de force un enfant équivaut à compromettre ses droits fondamentaux et son épanouissement. Au-delà du développement personnel de la jeune fille, des aspects d’ordre sanitaire sont également en jeu. La santé sexuelle et reproductive de la fille peut être menacée. Le Dr Hamado Traoré, en poste au Centre hospitalier universitaire de Ouahigouya, fait savoir que les conséquences sur le plan sanitaire du mariage d’enfants sont nombreuses.

Les conséquences vont de l’abandon scolaire, du traumatisme, de l’anti-développement personnel jusqu’à la mortalité maternelle, à la répudiation, au relâchement des liens familiaux, à des grossesses à risques notamment la prématurité des bébés, les fistules obstétricales, entre autres. La triste réalité, regrette-il, est que le phénomène persiste avec ses lots de conséquences sous le « regard complice » de la législation burkinabè en la matière (des détails plus bas).

« Personnellement, j’ai honte du cadre juridique du mariage au Burkina. Il est vrai que le Code des personnes et de la famille (CPF) est sur le chemin de la révision, mais l’analyse que nous faisons du contenu non encore révisé est que la législation burkinabè ne protège pas les enfants dans certaines conditions », s’insurge, pour sa part, la juriste et activiste des droits humains, Cécile Thiombiano/Yougbaré.

Le CPF : Le texte de référence en matière de mariage taxé de désuétude

Pourtant, en dehors des dispositions internationales ratifiées, le texte de référence en matière de mariage au Burkina Faso demeure le Code des Personnes et de la Famille (CPF).

Ce Code, datant de novembre 1989, régit, entre autres, les conditions du mariage, de l’héritage, de l’obtention de la nationalité, de l’enregistrement des naissances, de l’adoption d’un enfant.

Constaté que ce texte comporte des dispositions « discriminatoires » en défaveur de l’autre moitié du ciel.

Le CPF est même vu par certains juristes comme désuet, après 29 ans d’application. Les dispositions indexées concernent particulièrement l’âge du mariage des filles, en plus des autres aspects susmentionnés comme les questions d’héritage, d’adoption, etc.

Des incohérences avec les textes internationaux

Les dispositions incriminées du Code entré en vigueur en août 1990 sont en déphasage avec le Plan d’Action de Maputo et la Convention internationale des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies le 20 novembre 1989. Le Plan d’Action de Maputo adopté par le Burkina recommande que l’âge de la majorité civile et matrimoniale soit fixé à partir de 18 ans.

Quant à la Convention internationale, elle a été promptement ratifiée par le Burkina Faso le 23 Juillet 1990, c’est-à-dire avant son entrée en vigueur prévue pour le 2 septembre de la même année.

Il est indiqué qu’« au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ».

Le « Pays des Hommes intègres », comme plusieurs autres pays d’Afrique, a également ratifié la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant le 8 juin 1992. Dans cette Charte adoptée en juillet 1990 et entrée en vigueur en novembre 1999, il est également mentionné clairement : « On entend par ‘Enfant’ tout  être humain âgé de moins de 18 ans ».

L’histoire rattrape-t-elle le Burkina ?

Par rapport aux différentes dates des textes évoqués, des coïncidences historiques sautent aux yeux et suscitent observations et interrogations. Primo, l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant par les Nations unies et l’institutionnalisation du Code des personnes et de la famille se sont faites à la même date: novembre 1989. Secundo, l’entrée en vigueur des deux textes a curieusement eu lieu presque au même moment: septembre 1990 et août 1990.

Et tertio,  1990 correspond à l’année d’adoption de la Charte africaine susmentionnée. N’est-ce pas un semblant de « troncation » des contenus des textes internationaux qui rattrape le Burkina Faso qui a « appliqué » le « sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable », brèche ouverte par la Convention internationale ? Bref ! Là n’est pas la préoccupation principale.

Aperçu de l’âge du mariage fixé par le CPF en relecture

Le fait le plus intriguant se trouve à un autre niveau d’interprétation desdits textes. En fait, le Code des personnes et de la famille, en l’état actuel, « autorise » le mariage d’enfants, car il permet le mariage des filles à partir de 17 ans. Il peut, de surcroît, y avoir une dispense d’âge en cas de motif grave, généralement en cas de grossesse (NB : le motif grave dépend de l’appréciation du Juge).

Une situation favorable au mariage des filles dès 15 ans et des garçons dès 17 ans. Le CPF se retrouve également être en contradiction avec les dispositions du nouveau Code pénal burkinabè adopté en mai 2018, qui définit aussi l’enfant comme tout être humain âgé de moins de 18 ans.

Des nouvelles du CPF au Premier ministère

« Notre Code des personnes et de la famille prévoit l’âge du mariage à 17 ans, voire 15 ans, pour la fille et 20 ans, voire 17 ans, pour le garçon. Alors que la Convention internationale des droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant donnent une définition qui parle de minorité.

En ce moment, si nous gardons notre Code comme tel, cela veut dire que nous continuons à marier nos filles précocement, à un âge qui n’est pas conforme aux textes que nous-mêmes nous avons ratifiés », fait observer Momo Ibaranté, membre de la Coalition nationale pour l’élimination du mariage d’enfants.

Il a été ainsi proposé depuis 2006 d’arriver à mettre en cohérence les dispositions du Code des personnes et de la famille avec les textes internationaux ratifiés par le Burkina Faso. Le processus de relecture du CPF a débuté véritablement en 2012, sous le Régime de Blaise Compaoré. Mais, c’est sous la Transition de 2015 que le dossier va connaître une accélération. Le Burkina Faso s’est d’ailleurs doté d’une Stratégie nationale de prévention et d’élimination du mariage d’enfants couvrant la période 2016-2025.

A ce titre, une plateforme multisectorielle regroupant tous les acteurs (structures publiques, OSC, ONG et PTF) a été mise en place en 2015. Un avant-projet de nouvelle loi portant Code des personnes et de la famille (CPF) fixant la majorité civile et matrimoniale à 18 ans accomplis, quel que soit le sexe de l’enfant, avait été validé par un atelier national en février 2016. Il était indiqué que cette nouvelle réglementation était en attente d’être adoptée par le Conseil des Ministres.

Mais, il nous revient que le dossier n’a pas encore été soumis en Conseil des ministres. En mars dernier, une source judiciaire bien au fait de l’affaire nous a confié que le dossier se trouve actuellement au niveau du Premier ministère. Une version certifiée par plusieurs autres sources. Il faudrait encore du temps pour que le nouveau Chef du gouvernement prenne connaissance du contenu dudit dossier. Pour combien de temps encore ? Mystère et boule de gomme.

La reconnaissance ou non du mariage traditionnel et religieux : Point de blocage ?

Toutefois, certaines indiscrétions confirment que, dans la version révisée du CPF, la majorité civile et matrimoniale a été relevée à 18 ans pour tout sexe. « Le blocage dans le processus de révision du CPF ne se situe pas au niveau de l’âge du mariage. Cette question est résolue. Il y a certainement d’autres aspects sur lesquels il y a des points d’achoppement », nous confie un haut cadre de l’administration. Mais, quels peuvent être ces points de discordance ?

La juriste Cécile Thiombiano/Yougbaré semble avoir débusqué des éléments de réponse. Elle était de la délégation burkinabè qui a participé en mars 2019 aux Etats-Unis à la Commission sur la condition de la femme de l’Union Africaine(UA). Elle a évoqué la question du blocage de la relecture du CPF notamment avec la Ministre en charge de la famille, Hélène Marie Laurence Ilboudo/Marchal, Cheffe de la délégation burkinabè.

« Si je comprends bien la réponse apportée par la ministre ainsi que les autres intervenants, c’est qu’il y a des obstacles qui relèvent d’autres articles contenus dans le CPF et qui devraient aussi être revus. Et ça fait traîner. Je pense que parmi tant d’autres, c’est la problématique de la reconnaissance ou non du mariage traditionnel et religieux. Il y a tout un débat autour qui fait qu’apparemment il y a des retards, des barrières et des obstacles à ce que le Code des personnes et de la famille arrive sur la table de l’Assemblée nationale. C’est ce que nous avons pu noter », explique-t-elle.

Quoi qu’il en soit, tous reconnaissent l’urgence d’agir afin que la législation burkinabè protège mieux les filles victimes de mariage d’enfants. Même Mireille, 15 ans au moment des faits, ignore que si jamais, elle mâchait le chewing-gum piégé du commerçant, et que celui-ci abusait d’elle et l’enceintait, les textes faciliteraient son mariage avec ce dernier. Lui expliquer que la grossesse peut être considérée comme un motif grave par le juge s’apparente à remuer le couteau dans la plaie. Mais, telle est la réalité : Dura lex, sed lex !

Noufou KINDO

Publié le 15-04-2019 dans Burkina 24

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