Elles repensent le fonctionnement de leur communauté, aux côtés d’une génération de jeunes filles qui pourrait en faire de même à l’avenir.
Drôle d’endroit pour une rencontre.
Garée dans un coin tranquille de Kayes au Mali, nous sortons de la voiture. La rue débouche sur une grande allée où nous attend le groupe que nous venons voir. C’est là que je comprends pourquoi nous avons besoin d’un espace aussi grand.
Plus de 60 femmes et jeunes filles sont là, aussi bien des grands-mères que des adolescentes portant des nouveau-nés. Elles se lèvent, nous sourient et nous font signe de prendre place sur les canapés en velours réservés aux invités. Après avoir pris place, la présidente du groupe, Tamaratou Samaké, se lève et se tourne vers nous.
« Nous nous appelons Nieta, » déclare-t-elle. « Cela signifie aller de l’avant, progresser. »
Et c’est bien de cela dont il s’agit.
Nieta est constitué de dizaines d’amies, de voisines et d’activistes unies en faveur d’une même cause : aider les femmes et les enfants au Mali. Elles souhaitent mettre fin au mariage des enfants, éliminer les mutilations génitales féminines et promouvoir l’éducation sexuelle et la planification familiale. Elles veulent également éradiquer la fistule obstétricale au Mali et venir en aide à toutes les femmes et jeunes filles qui en souffrent déjà. Elles se déplacent dans les alentours de Kayes et à travers la région pour s’entretenir avec divers groupes, éduquer les collectivités et exhorter les femmes enceintes à se rendre à leurs consultations prénatales et à donner naissance dans des structures sanitaires.
Les dimanches, elles se réunissent pour ramasser les ordures dans les rues.
Elles viennent souvent avec leurs filles. Ainsi, d’après elles, elles peuvent leur inculquer les mêmes valeurs et générer des discussions mères-filles qui autrement n’auraient pas lieu.
Comme la discussion sur les règles. (« Elles doivent comprendre que le fait d’entrer dans une nouvelle phase de leur vie ne signifie pas pour autant que leur corps est prêt à avoir des enfants, » explique une mère.)
Ou la conversion sur la contraception. (« Nous nous réjouissons de pouvoir parler ouvertement à nos mères, » affirme une des filles. En lisant entre les lignes, je pense comprendre ce qu’elle veut dire : C’est une conversation délicate mais elle a lieu.)
Nieta ne dispense pas de services médicaux mais constitue un maillon essentiel de la chaîne des soins de santé au Mali. Elles réfutent les mythes entourant la planification familiale et les mutilations génitales féminines et encouragent fortement les familles à ne pas laisser leurs filles se marier avant l’âge de 18 ans. (« Si un homme aime une fille, il doit pouvoir attendre, » affirme Samaké.)
Elles rencontrent souvent des femmes souffrant d’une fistule obstétricale, une blessure invalidante contractée à la naissance d’un enfant, et les mettent en relation avec les campagnes de réparation chirurgicale comme celles qu’organise le projet de lutte contre la fistule au Mali d’IntraHealth International à Kayes, Koulikoro, Sikasso, Gao et Bamako, où nous avons traité plus de 1 400 femmes au cours des dix dernières années.
Trouver ces patientes n’est pas une mince affaire. Trop souvent, les femmes souffrant d’une fistule vivent seules ou à l’abri des regards, et les trouver peut être la partie la plus difficile de la prestation de services de soins. C’est une des raisons pour lesquelles nous ne savons même pas combien de femmes en souffrent, bien que l’Organisation mondiale de la santé estime que 50 000 à 100 000 femmes sont affectées chaque année.
En travaillant avec IntraHealth et notre partenaire local à Kayes, l’Association internationale pour la santé maternelle et néonatale au Mali (IAMANEH), les membres de Nieta ont pu jouer un rôle déterminant dans l’élimination de la fistule dans leurs propres quartiers.
Six enfants par femme
Le Mali possède un des taux de fécondité parmi les plus élevés au monde. Chaque femme donne en moyenne naissance à six enfants. Et cela saute aux yeux. Des bébés, des bambins, des enfants, des ados. Je n’ai jamais vu autant de gamins de toute ma vie.
Cette année marque le cinquantième anniversaire de la Conférence internationale de 1968 sur les droits humains, lors de laquelle, pour la première fois, la planification familiale a été mondialement reconnue comme un droit humain. « Les parents jouissent d’un droit humain essentiel leur permettant de déterminer librement et de manière responsable le nombre d’enfants qu’ils souhaitent avoir et leur espacement, » stipule la Déclaration de Téhéran.
Au Mali, Nieta et d’autres femmes vont plus loin, non seulement en cherchant à promouvoir ce droit à travers leur collectivité mais en profitant également de cette occasion et de cette responsabilité pour éduquer leurs enfants, plus particulièrement leurs filles, sur ce que signifie le fait de grandir et la manière de prendre soin de soi.
Le projet de lutte contre la fistule d’IntraHealth au Mali est financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international. Parmi nos partenaires locaux figurent l’Alliance médicale contre le paludisme, le Groupe de recherche, d’étude et de formation Femme-Action et l’Association internationale pour la santé maternelle et néonatale.
Margarite Nathe
Publié le 07-10-2018 dans Vital