Même si les pays de l’Afrique de l’Ouest francophone sont loin de la révolution contraceptive, cette dernière demeure un rêve, selon Fatimata Sy, Directrice de l’Unité de coordination du Partenariat de Ouagadougou (UCPO). C’est pourquoi cette thématique est au cœur de la 6ème Rencontre annuelle du Partenariat de Ouagadougou ainsi intitulé : «L’autonomisation de la femme et la révolution contraceptive en Afrique de l’Ouest ». Dans cet entretien, Mme Sy évoque, entre autres sujets, le bilan de la phase d’accélération (2016-2020), le choix de la Guinée, les changements institutionnels dans certains pays, le rôle des parlementaires dans la promotion de la planification familiale.
Entretien réalisé par Maïmouna GUEYE
Qu’est-ce qui a motivé, selon vous, le choix du thème de la Réunion annuelle 2017 qui se tient à Conacry en Guinée ?
La Revue annuelle 2017 porte sur «l’autonomisation de la femme et la révolution contraceptive en Afrique de l’Ouest ». Nous l’avons intitulé ainsi pour surtout insister sur la notion de révolution contraceptive. Car même si nous sommes très loin de cet objectif, nous y aspirons. C’est notre rêve. Mon souhait est que la planification familiale soit accessible à toutes les femmes sans contrainte ni coercition. Nous espérons y arriver un jour en développant l’accès comme dans d’autres pays. Par exemple, la France et l’Amérique latine ont fait leur bataille pour la révolution contraceptive. D’ailleurs, ce concept est devenu un slogan, surtout des jeunes qui, en 2015, lors de la Revue annuelle (RA) tenue au Bénin, nous avaient interpelés dans ce sens. C’est pourquoi, ils étaient au centre de la thématique l’année dernière à Abidjan, lors de la 5ème RA. Mais pour cette édition, nous voulons mettre l’accent sur les femmes et les filles, après les jeunes.
Aussi voudrait-on parler lors de cette sixième RA du lien entre la planification familiale et l’autonomisation de la femme. Car la planification familiale est un élément essentiel dans l’atteinte du dividende démographique. Nous allons interpeller nos leaders pour voir si les investissements qu’ils font dans la planification familiale sont suffisants. D’ailleurs les questions ayant trait au financement de la planification familiale seront discutées lors cette réunion. De même que le droit à l’accès à la planification familiale. On voudrait aussi qu’une grande attention soit portée sur la Guinée, le pays hôte. L’objectif est de mobiliser le gouvernement guinéen, les partenaires, la société civile, les autres pays, pour un regain d’intérêt pour la planification familiale.
Pourquoi le choix de la Guinée pour abriter la sixième Réunion annuelle du Partenariat de Ouagadougou ?
Nous avons eu l’amabilité, la générosité du Togo d’organiser la Revue annuelle 2017 depuis mars-avril 2017. Nous étions très avancés dans l’organisation. Le comité d’organisation était mis en place. Nous étions même avancés sur le choix du site devant abriter la rencontre. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’il y avait un risque avec les manifestations au plan politique. Si le Togo avait été maintenu pour l’organisation de la 6ème Ra, il pourrait y avoir une incidence sur la participation. Deux options se présentaient à nous, soit prendre ce risque et ne pas avoir un niveau de participation acceptable, soit délocaliser la réunion de cette année dans un autre pays et considérer le Togo pour celle de 2018, surtout que d’autres réunions devant avoir lieu au Togo ont été reportées. Finalement, nous avons opté pour la délocalisation. Nous saluons ainsi le gouvernement togolais pour sa compréhension. Etant à deux mois de la RA, il nous fallait un pays où nous avons le leadership au niveau national, la disponibilité d’un site d’hébergement. En plus, le pays choisi ne devait pas avoir déjà organisé la RA. A ce niveau, je salue l’ouverture d’esprit du gouvernement guinéen qui, en une semaine, nous a donné une réponse positive. Depuis lors, l’organisation avance très bien sous le leadership du ministre de la Santé. Nous avons un comité national très fonctionnel. Nous tenons des réunions hebdomadaires et le ministre guinéen de la Santé a donné des instructions pour qu’on fasse de la RA une priorité.
Après sa première phase qui s’est achevée en 2015, le Partenariat de Ouagadougou déroule sa deuxième phase dite d’accélération. Pouvez-vous nous en faire le point, surtout qu’en décembre dernier, il a été constaté que les progrès enregistrés étaient lents ?
2016 a été la première année d’exécution de la phase d’accélération des progrès en planification familiale, dans le cadre du Partenariat de Ouagadougou (PO). Mais l’on a constaté que, parmi les neuf pays francophones membres du PO, seul le Burkina Faso a atteint voire dépassé les objectifs qui lui sont assignés cette année. Le défi lancé aux autres pays était de rattraper les gaps de 2016 et d’atteindre les objectifs de 2017. Et nous espérons, si l’on se fie aux analyses des données que nous avons reçues, que nous allons dépasser les objectifs de 2017. Car, on attendait 886.000 femmes, alors que d’après l’analyse faite, nous sommes à 910.000 femmes additionnelles dans les 9 pays du PO. Donc, globalement, on a dépassé à ce jour les résultats attendus en 2017. Mais, il y a des disparités, car il y a le lot des pays qui ont dépassé leurs objectifs, celui des pays qui en sont très proches, et une troisième catégorie de pays très loin de ce qui était attendu.
L’autre motif de satisfaction, c’est que sur les 2.200.000 femmes additionnelles à enrôler d’ici à 2020 dans les 9 pays du PO, les 910.000 représentent les 41% de l’objectif global, seulement après deux ans de mise en œuvre. Donc, je dirais que 2018 sera une année déterminante.
Mais qu’est-ce qui a été permis d’arriver à ces résultats, surtout que des gaps étaient à combler dans les pays du PO, sauf au Burkina Faso ?
Il fallait remobiliser les parties prenantes et réengager les gouvernements. Le dernier Sommet de Londres sur la planification familiale a été aussi décisif. Nous avons mobilisé les ministres de la Santé qui ont participé au Sommet de 2017. Les pays et les partenaires ont renouvelé et reformulé leurs engagements. L’autre particularité tient au fait que beaucoup de pays ont mis en œuvre des approches très porteuses basées sur un programme communautaire qui a été boosté. Il y a aussi des pays qui ont fait des stratégies avancées permettant d’enrôler plus de femmes dans la planification familiale. Dans les structures sanitaires, les agents ont eu à rattraper le retard en travaillant sur la planification familiale post-partum. Seulement, il faut qu’on arrive à une approche multisectorielle pour accélérer davantage les interventions et arriver au résultat global attendu.
Les changements institutionnels notés au sein des ministères de la Santé, notamment des directions chargées de la santé reproduction et de la planification familiale ne constituent-ils pas un frein à l’atteinte des objectifs au niveau des pays ?
C’est bien un frein ! A titre d’exemple, le Sénégal, qui était leader dans les 9 pays du PO, ne fait plus partie du peloton de tête. Est-ce que les changements ont joué ? On ne saurait être catégorique, mais ce qui est sûr, c’est que c’est un facteur à considérer ? En tout cas, on était surpris de le voir dans le deuxième lot.
L’autre exemple que je peux donner est le Niger qui figure parmi les pays très loin des objectifs. Il a aussi connu des changements institutionnels. A mon avis, il y a deux facteurs qui ont joué : les normes sociales et le fait qu’il s’agit d’un grand pays de par la superficie. Donc, pour la mise en œuvre du Plan d’actions national de planification familiale, il faut revisiter les stratégies d’intervention et mobiliser beaucoup plus les parties prenantes.
Compte-tenu de tous ces éléments, il nous faut faire du plaidoyer auprès personnes nouvellement affectées dans les départements de la santé concernés pour remobiliser les troupes.
Les parlementaires font partie de vos partenaires. Quel rôle jouent-ils réellement dans la promotion de la planification familiale ?
Nous leur demandons de nous accompagner dans le plaidoyer pour la mobilisation des ressources domestiques, surtout au moment du vote du budget. Le Forum européen et le Forum africain nous appuie dans ce sens. Mais nous attendons aussi des parlementaires qu’ils interpellent les gouvernements sur la mise en œuvre des engagements pris. Nous sommes aussi en train de parler de délégation des tâches dans un contexte de raréfaction des ressources humaines dans la santé. Il y a des textes qui doivent régir tout cela. Les commissions au niveau des Parlements doivent statuer sur toutes ces questions.
Propos recueillis par Maïmouna Guèye