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Grossesses précoces: Quand les parents sont « impuissants » face au phénomène

Ange Konan est une adolescente de 14 ans. Intelligente et brillante, elle fait la fierté de ses parents qui sont à ses petits soins. Régulièrement inscrite dans un lycée d’excellence à Abidjan, elle devrait présenter le Brevet d’études du premier cycle (Bepc). Cependant, à son jeune âge, elle porte une grossesse de 4 mois (16 semaines).

Qu’est ce qui a pu bien se passer ?  Ses parents sont encore sous le choc. Et pourtant, son père M. Konan N’Dri est un cadre dans une société d’Abidjan. Il s’est juré d’offrir tout le confort à sa fille aînée, Ange Désirée Konan qui fréquente un lycée d’excellence à Abidjan-Cocody. Et cela, afin de lui garantir un avenir promoteur et s’assurer qu’elle pourra faire un parcours sans faute.

Chaque matin, il prend soin de la déposer personnellement dans cet établissement pour s’assurer qu’elle ne rate aucune matière. Et surtout qu’elle soit à l’abri des mauvaises fréquentations. Toutefois, en cas d’empêchement pour un emploi du temps chargé, il prend soin de la faire déposer par un chauffeur recruté en free-lance pour la circonstance… En dépit de toutes ces précautions, Ange a contracté une grossesse non planifiée.

« C’est incroyable ! Je ne l’ai pourtant jamais négligée. J’ai mis à sa disposition tout le confort souhaité. Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Où ai-je failli ? Je vais la chasser de la maison. Ce mauvais exemple risque d’être copié par ses plus jeunes sœurs », déplore M. Konan N’Dri, visiblement anéanti par cette nouvelle de la grossesse précoce de sa fille chérie.

Ce phénomène de grossesse indésirée ne concerne pas seulement les filles de parents aisés. C’est le  cas  de l’expérience de la fille de M. Kablan, un enseignant  de condition modeste à Abidjan. Parent d’élèves, il a inscrit sa fille Audrey dans un établissement à Bingerville où lui-même est en fonction. Malgré cette précaution et la proximité dans l’encadrement de sa fille, elle n’a pas échappé audit phénomène.

En classe de 5ème, alors qu’elle était âgée de 13 ans, elle a contracté une grossesse… Pire, l’auteur est inconnu. Et Audrey refuse d’en parler. « J’ai été surpris par cette nouvelle. Je suis resté sans voix. Cela me faisait si mal que je me sentais impuissant. Avec mes maigres moyens, j’ai toujours acheté ses fournitures. Que nous réserve l’avenir ? Parce que ce projet imprévu va forcément empiéter sur les résultats scolaires de ma fille. Elle est si renfermée et naïve que j’ai peur… Car en l’injuriant, elle risque de prendre une mauvaise décision… ».

Des victimes des grossesses précoces sont aussi enregistrées dans des familles à faible revenu. C’est l’exemple des jeunes élèves du lycée moderne de Sikensi. Affectées loin de leur lieu d’habitation, ces adolescentes se livrent de façon précoce à des ouvriers, des paysans pour assurer leur repas quotidien… « Je n’avais que 5000 F Cfa pour payer le loyer et assurer mon petit-déjeuner. Mon père est un planteur.  Pour ne pas mourir de faim, j’ai accepté les avances d’un jeune menuisier. Chaque fin de mois, ce dernier me donnait la somme de 5000 F Cfa pour mes besoins. Quand j’ajoute cette somme à celle donnée par mon père, je me retrouve avec 10.000 F Cfa par mois ».

Quelles que soient les causes des grossesses précoces, force est de constater qu’elles ont un impact non négligeable sur la stabilité familiale.

Les conséquences au niveau familial

Les grossesses précoces affectent le rendement scolaire et le budget familial. Dans le premier cas, des filles sont pénalisées par les grossesses contractées au cours de l’année scolaire parce qu’elles sont obligées d’interrompre les cours pour la période concernant la maternité. Alors que les auteurs desdites grossesses n’auront pas d’année scolaire interrompue. « Il s’agit là d’un véritable travail de « coupeurs de route » parce que dans l’éducation d’une fille, les parents ont l’obligation de l’accompagner jusqu’au bout et non s’arrêter en si bon chemin… », ont déploré des parents d’élèves.

« Quand le regard de leur entourage devient plus pesant, souvent des élèves décident d’abandonner les cours. Plusieurs d’entre elles ont ainsi grossi le rang des filles déscolarisées à cause de la honte », constate M. Kouakou René, un parent d’élèves. Au nombre des conséquences, il faut compter des dépenses supplémentaires. «Pendant la période de la grossesse de ma fille, j’ai payé des frais  médicaux. L’auteur et ses parents ont démissionné. Les dépenses se sont multipliées par deux, voire trois à la naissance du bébé… Il me fallait ainsi prévoir de l’argent pour les frais d’accouchement, les soins de la mère et de l’enfant (naissance prématurée). Ensuite, pendant la reprise des cours, j’ai dû trouver une baby-sitter pour la garde du bébé. Elle est aussi payée chaque fin de mois.

Toute chose qui a augmenté la charge familiale. Sans oublier les frais de scolarité de la mère, ses frais de déplacements (elle doit rentrer pour allaiter le bébé à midi). Ce dernier est du coup obligé d’adopter le régime de l’allaitement mixte. Des boîtes de lait à acheter viennent allonger la liste des dépenses. Alors que la cagnotte familiale est restée la même », témoigne  M. Kouakou.

Quant à Mme Djenaba, une commerçante, elle témoigne qu’à l’accouchement de sa fille, elle fut contrainte de suspendre toutes ses activités pour s’occuper du bébé. La raison est que sa fille affectée dans une ville loin du village, avait besoin d’une baby- sitter pour s’occuper du nourrisson. Par manque de moyens, elle a préféré sacrifier ses activités pour s’occuper personnellement du bébé. « Ce n’était pas prévu. Mais devrais-je livrer ma fille Sandrine à son sort ? Une enfant à peine sortie de l’adolescence qui doit s’occuper d’un autre enfant. Avec à la clé un examen de fin d’année à présenter… ».

Des chiffres qui parlent

La Direction stratégique, de la planification et des statistiques du ministère ivoirien de l’Éducation nationale a publié en décembre 2016 des statistiques qui donnent une idée d’ensemble de progression des grossesses précoces dans le pays. Plus de 4000 cas de grossesses précoces ont été enregistrés en 2017 en Côte d’Ivoire en milieu scolaire. Selon ledit document, l’année scolaire 2016-2017 a révélé «4471 cas de grossesses». Ce sont des chiffres communiqués par la Direction stratégique, de la planification et des statistiques du ministère ivoirien de l’Éducation nationale. 1153 filles âgées de 9 à 14 ans; 2393 de 15 à 18 ans et 920 jeunes femmes de plus de 19 ans ont contracté une grossesse, précise le rapport intitulé «Statistiques scolaires de poche 2016-2017».

Le rapport a révélé 404 grossesses dans l’enseignement primaire en 2015-2016 contre 512 en 2014-2015. 51 cas ont été enregistrés chez les moins de 12 ans et 353 chez les 12 ans et plus. Ces chiffres, bien qu’importants, sont en baisse par rapport à l’année scolaire 2014-2015 où 5992 cas de grossesses avaient été répertoriés dans les établissements d’enseignement primaire et secondaire du pays, et par rapport à 2013-2014 (6800 cas). Des chiffres trop élevés qui poussent le gouvernement et le ministère en charge de l’éducation nationale à réagir.

La réaction du gouvernement

Le gouvernement ivoirien a constaté que les grossesses précoces sont presque systématiquement à la base de la déscolarisation de la jeune fille. A cet effet, il a fait de la scolarisation de celle-ci une priorité. Qui s’élevait en 2017 à un taux de 55,8% pour les filles dans le primaire contre 67,1% chez les garçons. Dans le secondaire, le taux de scolarisation des filles était de 24,6% contre 33,1% chez les garçons.

Par ailleurs, la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle, Kandia Camara, qui mène depuis 2013 une lutte farouche contre le phénomène de grossesse précoce en milieu scolaire, n’a pas hésité à pointer du doigt les enseignants auteurs des grossesses. Elle a menacé de « punir et radier les auteurs » de grossesses en milieu scolaire… Bien avant, elle a lancé officiellement la campagne « zéro grossesse » en milieu scolaire.

Isabelle Somian

Publié le 31-03-2019 dans fratmat

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