A la suite d’une enquête réalisée sur place par la rédaction locale de Guineenews, il ressort que la pratique de la planification familiale est un sujet tabou au sein de plusieurs familles dans la cité de Karamoko Alpha. D’ailleurs, il ne fait pas l’unanimité dans les couples. Pratiquée d’une part pour éviter les grossesses non désirées et d’autre, pour espacer les naissances, la planification familiale est très souvent source de conflits dans plusieurs foyers. Une épine sous les pieds du département de la santé et de l’hygiène publique.
En ce 21e siècle, nombreux sont les chefs de famille résidant à Labé qui ne cachent pas leur opposition vis-à-vis de la planification familiale. Pour ces personnes composées essentiellement de religieux, cette pratique est purement et simplement une opposition à la volonté divine donc contraire aux principes de l’islam.
Sous le couvert de l’anonymat, un premier religieux interpellé sur le sujet, déclare: «pour moi, il n’est pas question de faire recours à des méthodes imposées par des civilisations occidentales en lieu et place de la tradition et de ce que Dieu nous a recommandés. C’est Lui (Dieu) qui nous a créé. Donc, il connait ce qui est bon pour nous plus que nous-mêmes. Je ne le ferai pas et ne permettrai point que mes épouses le fassent car nous nous considérons cela comme un sacrilège».
Dans le même ordre d’idées, Thierno Abdourahmane Bah, maitre coranique renchérit: « il n’est écrit nulle part dans le coran qui est notre référence, nous musulmans, qu’il faut à un certain moment bloquer la fertilité d’une femme. Pourquoi ? Donc celui qui le fait doit savoir qu’il a péché. L’islam te permet d’avoir 4 femmes ; donc quand la première est nourrice tu as au moins 3 autres qui attendent », martèle-t-il.
Un autre citoyen qui a requis l’anonymat nous raconte sa mésaventure: «j’ai quitté ma femme pour des problèmes liés à cette planification dont vous parlez. En effet, dès après notre mariage, selon ce que j’ai finalement compris, ma belle-mère est allée planifier ma femme parce que, dit-elle, sa fille est d’abord en train d’étudier. Elles l’ont fait sans même nous aviser. Et on est resté comme ça, 1 an, 2 ans, 3 ans sans faire d’enfants alors que cela était le souhait de ma famille et moi-même. Comme ça pris du temps, ma famille a fini par comprendre que ma belle-mère est responsable de cette situation. Cela a fait un grand bruit et finalement, on a été obligé de divorcer. Je me suis remarié et aujourd’hui suis père d’un garçon de 7 mois».
Cette position d’un bon nombre de chefs de famille complique la tâche aux responsables du secteur dans les structures sanitaires de la Moyenne Guinée. Sage-femme, chargée de la planification au niveau de l’hôpital régional de Labé, Baldé Kadiatou Alpha regrette le faible taux de femmes qui désirent se planifier. «Les femmes viennent pour se faire planifier mais le taux est faible. On aimerait que ça augmente plus que ça. Le plus souvent, les femmes viennent seules mais on demande toujours si elles ont le consentement du mari pour prendre une méthode. Elles disent des fois que leur mari ne veut pas qu’elles se planifient afin qu’elles se reposent. En plus d’autres hommes pensent que s’ils laissent leur femme se planifier, elles vont aller chercher un autre partenaire. C’est ce qui se dit souvent mais on cherche toujours à dissiper les idées erronées là, pour préserver la santé de la femme et de son enfant », rassure-t-elle.
Pourtant des maris comme Mamadou Bah restent catégorique sur le sujet: «si ma femme se planifie sans mon consentement, je vais directement demander le divorce. En plus, je vais poursuivre le médecin qui a procédé à l’opération sans mon consentement parce que ma femme reste ma femme. Et si vous ne pouvez pas parler le même langage vaut mieux divorcer», déclare-t-il.
Imam d’une mosquée périurbaine de la ville, El Hadj Amadou Baldé pense que la planification est la principale source d’infertilité chez plusieurs femmes: « de nos jours, les femmes qui veulent enfanter mais qui n’arrivent pas ne se comptent même pas. Celles-ci sont en train de passer par tous les moyens pour avoir des enfants mais impossible. Mais si tu examines un tout petit peu leurs cas tu trouveras que pratiquement toutes ont, par le passé, subi des opérations de planification afin d’éviter des grossesses non désirées. Donc, vous comprenez que cela à des inconvenants», conclut-il.
D’un avis contraire, la chargée de la planification au niveau de l’hôpital régional de Labé rejette catégoriquement cette position. « La planification n’a pas de conséquences. Les effets secondaires sont minimes. Ça ne change rien, elle se repose. Par exemple, elle a pris une méthode aujourd’hui, elle veut se reposer pour un an ; elle peut rester avec tout au long de cette année. Si elle veut concevoir, si c’est une méthode qui nécessite une autre opération pour être enlever, elle revient et on enlève. Si c’est par exemple les pilules et qu’elle veut se reposer pour un an, elle prend les pilules tous les jours. Le jour qu’elle voudra concevoir, elle arrête. Dès qu’elle arrête le retour à la fécondité, le plus souvent, c’est très rapide », réagit la spécialiste.
Plus loin, Dr Baldé Kadiatou Alpha parle des avantages de la planification familiale : « la planification familiale permet d’abord aux jeunes filles qui ne sont pas mariées d’éviter les grossesses non désirées. Ça aide aussi dans la décision du nombre d’enfants désirés. Elle permet encore d’espacer et de programmer les naissances au meilleur moment parce qu’on dit qu’une femme dont l’âge est inférieur à 18 ans ne doit pas tomber enceinte et une autre femme qui a 35 ans ne doit pas aussi contracter une grossesse. Donc, c’est dans cette fourchette là qu’on recommande aux femmes de faire des enfants. Mais pour cela aussi, il ne faut pas tomber enceinte alors que tu as un enfant de moins d’un an. Voilà pourquoi, on demande d’espacer afin qu’il y ait au moins deux ans entre les naissances », précise la chargée de la planification au niveau de l’hôpital régional de Labé.
Dos au mur face au refus de plusieurs chefs de famille, Lamarana Barry, jeune nourrice appelle les femmes à la désobéissance conjugale : «sur ce genre de sujet, il ne faut même pas écouter les hommes. Chacun connait le monsieur qui partage sa vie. Si tu comprends sa position sur le sujet, fait le nécessaire pour maintenir ta santé. Tu peux te planifier sans grand bruit. Si ça ne marche pas, il faudrait aborder le sujet tout en précisant ta position. Advient que pourra», lance-t-elle.
«Moi, je suis d’accord avec ces femmes qui disent qu’à un certain niveau, il faut se planifier car c’est normal. Mais je conseille aux couples de dialoguer, de discuter pour trouver un terrain d’entente. Que les femmes ne se planifient pas sans l’accord de leur mari sinon ça devient un problème. Donc, il faudrait à tout prix promouvoir le dialogue», estime Algassimou Diakhaby acteur de la société civile locale.
Fatoumata Binta Diallo, mère d’une fillette de 3 ans salue les bienfaits de l’opération : « quelques mois après la naissance de ma fille, j’ai convenu avec mon mari de procéder à une planification le temps pour nous de pérenniser l’acquis. Trois ans après, on s’est dit d’attendre encore parce que les conditions économiques ne sont pas favorables. Donc, moi je n’ai pas de problème par rapport à cela », estime-t-elle.
Interpellé par Guineenews, Niankoye Lamah, le ministre de la Santé et de l’Hygiène, reconnait que la planification familiale est toujours une équation sans solution en Guinée. « Je sais que les gens sont réticents que ça soit en Moyenne Guinée, en Haute Guinée, en Basse Guinée où en Guinée Forestière parce que c’est une culture commune. Bien-sûr, il y a des particularités. Pour les fondamentalistes musulmans, ce n’est pas du tout facile. Mais de façon globale, tous nos parents sont réticents par rapport à la planification familiale », reconnait-il.
A la question de savoir que fait son département pour faire face à ce problème de santé, le ministre Lamah répond avec illustration: « regardez, dans la planification, nous disons très bien que pour élever un enfant, c’est assez coûteux. Et pour l’éduquer, il faut en avoir les moyens. Mais, malheureusement, ce n’est pas ça. Moi qui te parle, je suis d’une famille féodale. Un seul de mes oncles, le dernier avaient 60 femmes mariées. Il a fait 147 enfants. Un seul, je ne dis pas les autres. Mais malgré la chefferie, l’éducation là-bas n’était pas agréable. Donc ce qui fait qu’on a beaucoup d’enfants mais qui ne vont pas à l’école parce qu’on ne peut pas. Un seul qui a 147 enfants même s’il est féodal », explique-t-il.
Pour finir le ministre de la Santé a tenu à tirer la sonnette d’alarme :
Il faut que nos parents comprennent que le grand nombre d’enfants est contre la prospérité de l’enfant, et est contre la bonne éducation de l’enfant ; donc contre soi-même, père ou mère de famille. Alors, il faut que les gens comprennent mais c’est progressivement que les gens vont comprendre qu’il faut faire peu d’enfants pour qu’ils soient en bonne santé, peu d’enfants pour qu’ils puissent être bien éduqués, faire peu d’enfants pour permettre aux parents d’assumer leur éducation parce que les moyens sont déjà faibles, conseille le ministre Niankoye Lamah.
Et selon le rapport 2018 de l’Organisation de la Défense des Femmes (ODF), sur un total de 10 couples, c’est seulement 3 à 4 qui tombent d’accord sur cette question de la planification à Labé. Même au sein de certains foyers intellectuels, cela n’est pas à l’ordre du jour. D’où la nécessité de relancer des campagnes de sensibilisation.
Alaidhy Sow
Pulié le 21-06-2019 dans Guinée news