Imam Ahmed Takhiyou Kane, grand imam de la grande mosquée de Kaolack, l’une des grandes régions du Sénégal, par ailleurs président de l’association sénégalaise des islamologues pour la santé et la citoyenneté et responsable de la cellule culturelle et scientifique du Cadre des Religieux pour la Santé et le Développement (CRSD) du Sénégal est un religieux engagé pour la promotion de la planification familiale. Avant-gardiste, il nous parle dans cette interview de cet engagement, de l’évolution de la perception de la planification familiale dans la société sénégalaise mais aussi des restrictions concernant la planification familiale dans l’islam.
Quel intérêt revêt pour l’imam que vous êtes, la planification familiale ?
La planification familiale avait suscité beaucoup de controverses au Sénégal. Il fallait que les imams se soulèvent pour se dresser comme arbitre entre les divergences sur la question. Il y avait ceux qui soutenaient la planification familiale en tant que quelque chose que l’islam a permis ; il y a ceux qui refusaient que l’islam accepte la planification familiale ; il y a ceux qui étaient d’accord sur le principe de la planification familiale, mais refusaient l’utilisation des moyens contraceptifs modernes. Il fallait donc que les imams saisissent le dossier pour trouver une solution à cette polémique sur la planification familiale.
Comment la planification familiale est-elle perçue par les autres leaders religieux ?
Certains sont radicaux. Ils refusent catégoriquement la planification familiale; ils refusent que l’islam soit une religion qui s’adapte à toutes les situations, alors que tel est le cas. La religion musulmane est une religion qui est valable de tous les temps, qui s’adapte à toutes les situations, et qui tient compte également des mutations. Cela veut dire qu’on peut parler de toutes les questions de la vie dans la religion musulmane. C’est pour cela que nous avons fait des recherches, nous avons utilisé les mêmes versets coraniques et hadiths que ceux qui sont contre ont utilisés, pour démontrer la légalité religieuse de la planification familiale.
Au Sénégal, la perception de la planification familiale a beaucoup changé à partir de 1987. Parlez-nous de cette révolution.
Les imams ont une certaine audience par rapport aux autres leaders. Les imams détiennent le pouvoir de se frotter à des centaines de personnes, ne seraient-ce que réparties sur les cinq prières, sur les prières du vendredi, sur les grandes prières annuelles de l’Aïd el-Fitr et de l’Aïd el-Kébir. C’est un outil très important qui permet à l’imam de faire passer son message. C’est ce qui a permis aujourd’hui que le taux de prévalence par rapport à la planification familiale augmente largement aujourd’hui Sénégal. C’est vrai que pendant les sermons, les imams parlent l’arabe, mais on a trouvé d’autres moyens pour traduire ce que l’imam dit le vendredi. Pour ce faire, on a formé des communicateurs religieux qui viennent, 30 à 40 minutes avant l’arrivée de l’imam, pour traduire ce que ce dernier doit dire en arabe. Et, souvent, on utilise des sermons sur la planification familiale. On a un recueil de sermons sur la PF que les imams et les communicateurs religieux utilisent quelques fois pour s’adresser aux musulmans. Je pense que cela a beaucoup contribué à l’évolution de choses au Sénégal.
Quels exemples de réussite pouvez-vous partager avec nos lecteurs ?
Je suis à l’origine de la formation des imams sur l’argumentaire islamique, parce qu’une fois, j’ai été invité à un atelier et j’ai constaté que les imams avaient des difficultés pour comprendre le contenu de l’argumentaire islamique. On peut être imam, savoir lire le coran sans comprendre l’arabe. L’arabe c’est autre chose. Beaucoup d’imams ne comprennent pas l’arabe. Quand, un jour, un imam m’a demandé de lui vocaliser le texte arabe pour pouvoir le lire, je me suis dit que celui-là ne comprend pas le contenu. J’ai alors suggéré à l’USAID d’organiser une formation des imams sur l’argumentaire islamique. Je disais que j’ai été le premier à briser le tabou de la planification familiale au niveau de Kaolack. Là-bas, je suis l’imam de la grande mosquée, l’imam qui coordonne les autres imams.
J’avais eu le courage d’organiser pendant trois jours un atelier sur la planification familiale à la grande mosquée de Kaolack, en accrochant les banderoles sur la PF pendant deux ou trois semaines. Cela avait suscité des critiques. On a tout jeté sur mon dos, disant que j’étais financé par des Occidentaux, etc. Mais j’avais réussi. Les vendredis suivants, je faisais des sermons sur la planification familiale jusqu’à ce que la chose soit bien moulue. Le problème n’est plus au niveau des discussions sur la légalité de la planification familiale au Sénégal, le problème c’est de continuer la sensibilisation pour relever encore le taux de prévalence dans notre pays.
Quels sont les avantages du planning familial selon vous ?
Le planning familial présente beaucoup d’avantages, tant sur le plan sanitaire qu’économique, et même sur le plan esthétique. En cas de difficulté par rapport à la santé, pour l’enfant et la mère, l’islam autorise la planification familiale. Si on dit à une femme qu’elle risque sa vie si elle porte une prochaine grossesse, l’islam lui interdit de prendre cette grossesse et l’oblige à utiliser la planification familiale. Sur le plan économique, si dans le couple le père de famille n’a plus les moyens de s’occuper des enfants, l’islam l’oblige à utiliser la planification familiale. Si la femme demande à son mari d’utiliser la planification familiale ne serait-ce que pour préserver sa beauté physique, l’islam l’oblige à lui donner l’autorisation, parce que c’est sa vie qui est en danger.
Quelles sont les restrictions concernant la planification familiale dans l’islam ?
Ce que l’islam n’admet pas, c’est que des jeunes qui ne sont pas mariés utilisent la planification familiale, parce que quand elle parle de cette thématique, elle s’adresse directement aux couples mariés. Ceux qui ne sont pas mariés n’en font pas partie. L’islam leur dit ‘’si vous en avez les moyens, mariez-vous. Si non, abstenez-vous. Voilà le jeûne vous aide à casser votre appétit sexuel’’.
Quelques versets coraniques encourageant la planification familiale par exemple?
Dans la sourate Al-Baqara, le Seigneur nous dit « que les parents allaitent leurs enfants pour une période minimum de deux ans, pour permettre à la femme de recouvrer sa force avant d’entamer sa prochaine grossesse. Le hadith également c’est la traduction du Prophète. Le Prophète nous dit « Evitez les grossesses rapprochées, car leurs conséquences peuvent surgir plus tard, lorsque l’enfant sera grand». Ce sont-là des preuves palpables que l’islam autorise la planification familiale.
Flore S. NOBIME
Publié le 22-01-2020 dans levenement précis