Conflits armés, tensions sociales, politiques et économiques, problèmes environnementaux, catastrophes naturelles, épidémies : le monde est plus que jamais en proie aux crises humanitaires qui se multiplient avec des effets dévastateurs. L’Afrique de l’Ouest Francophone n’est guère épargnée. La crise sécuritaire sans précédent que traversent les pays du Sahel depuis bientôt dix ans, les bouleversements occasionnés par la COVID -19 et les souvenirs laissés par le virus à Ebola en témoignent. Les crises politiques en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina-Faso, en Guinée et les catastrophes naturelles (inondations, sécheresses) en Mauritanie, au Niger et un peu partout dans la sous-région viennent s’ajouter au sombre tableau des situations humanitaires.
Conscient des enjeux et du drame silencieux qui se joue, la 10e Réunion Annuelle du Partenariat de Ouagadougou a été placée sous le thème : « Planification Familiale en contexte de crise humanitaire : Préparation, Réponse et Résilience ». Plus de 1200 participant.e.s des quatre coins du monde et surtout des neuf (09) pays du Partenariat de Ouagadougou (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Togo) ont pris part à cette édition.
A la lumière des diverses sessions, il est ressorti que la question des crises humanitaires et leur impact sur la planification familiale mérite d’être davantage au cœur des discussions.
Le lourd fardeau des crises humanitaires en Afrique de l’Ouest Francophone
Même s’il existe une multitude de définitions d’une crise humanitaire, un consensus semble se faire autour de certains points clés. Pour la Coalition Humanitaire, il s’agit d’un événement, ou une série d’événements, qui constituent une menace sérieuse à la santé, la sécurité ou le bien-être d’une communauté ou d’un groupe de personnes, sur une zone étendue.
Un contexte de crise humanitaire reviendrait donc à un milieu affecté par un conflit ou une catastrophe dépassant les capacités existantes dans le pays.
Le contexte humanitaire est si alarmant que Women’s Refugee Commission estime que dans les pays du Partenariat de Ouagadougou (PO), 13,2 millions de personnes auront besoin d’une aide humanitaire en 2022. L’indice de risque INFORM utilisé pour apprécier l’ampleur des crises dans les pays du PO révèle que tous les 09 pays sont à risque moyen, élevé ou très élevé comme l’illustre la figure ci-après.
Certains pays comme le Mali et le Niger retiennent beaucoup plus l’attention car, se retrouvant confrontés à tous les types de crises considérés. Il urge de prendre conscience de la situation précaire qui règne dans la sous-région, d’identifier les défis qui en découlent dans tous les secteurs afin de dégager les approches de solution pour être plus résilient. La communauté du PO est consciente de l’urgence d’agir, étant donné les répercussions de ces crises sur les droits et les besoins essentiels des communautés.
À l’épreuve : la planification familiale en contexte de crises humanitaires en Afrique de l’Ouest Francophone : quelques faits, constats et analyses
Une analyse des interventions lors de la 10ème Réunion Annuelle du Partenariat de Ouagadougou révèle que :
- 35 des 134 millions de personnes qui ont besoin d’assistance humanitaire sont des femmes et filles en âge de procréer.
- « Les crises humanitaires accroissent les besoins en Santé Sexuelle et Reproductive », a affirmé Dr Hatimou Al moctar. Selon lui, on observe une forte vulnérabilité des femmes et des jeunes filles victimes du fait de la rupture du tissu familial d’écoute et de soutien qui leur a longtemps servi de bouclier. La voie est ainsi laissée à divers abus tels que le viol, la prostitution forcée ou volontaire, les violences basées sur le genre, tout cela pouvant être à l’origine de grossesses non désirées, d’avortements à risques, etc.
- Malgré l’accroissement des besoins, il existe une difficulté d’accès à l’information et aux services de SSR/PF. Selon les réponses fournies dans le menti quizz réalisé à la journée des jeunes, ceci s’explique par le non-fonctionnement des structures offrant l’information, les coupures d’internet, les initiatives de communications interpersonnelles difficiles, la fermeture des lieux d’offres, l’abandon des services par les prestataires, l’absence de pouvoir étatique pour assurer la continuité des services, etc. De fréquentes ruptures de stock ont aussi lieu et sont liées aux difficultés d’approvisionnement et d’atteinte des populations déplacées ou occupant des zones de conflits.
- Le risque d’une réallocation des budgets initialement destinés à la PF vers d’autres priorités demeure très élevé en situation de crise (UNFPA)
- Très peu de programmes sont exclusivement réservés à la PF en situation de crise en dépit du grand besoin.
- Les rares programmes qui existent présentent parfois de grandes faiblesses. Pour la plupart, ils ne sont pas forcément adaptés aux besoins spécifiques des jeunes et personnes vulnérables. Ils n’incluent pas souvent les populations locales dans la conception ou la planification. Ces dernières peuvent donc rester réticentes. Les programmes souffrent également du manque de prestataires formés pour les défis en situation humanitaire. Aussi, les initiatives sont le plus souvent ponctuelles, ce qui marche peu en SSR.
- Le dispositif minimum d’urgence pour la santé sexuelle et reproductive (DMU-SSR) mis en œuvre au début de chaque urgence humanitaire paraît parfois également peu diversifié.
En plus, peu d’évidences ou de données de recherche sont disponibles sur la SSR en situation de crise et sur l’évaluation des programmes et politiques mis en œuvre. D’où, la difficulté de savoir objectivement ce qui marche afin de répliquer ou améliorer ce qui ne marche pas.
Néanmoins, des pistes de solutions intéressantes s’offrent pour relever les nombreux défis répertoriés. Il s’agit entre autres de :
- Renforcer les systèmes et politiques en matière de PF hors crise. La résilience d’un système de santé ébranlé par une situation humanitaire est le reflet de ce qu’il était avant la crise.
- Mieux se préparer aux situations de crise : la préparation permet de mieux répondre et d’être résilient.
- Inclure ou intégrer en consortium les services de PF à d’autres services de base.
- Impliquer les parties prenantes locales dans la conception et la mise en œuvre des programmes pour plus d’efficacité. Mixer communication traditionnelle et digitale.
- Adapter les programmes aux besoins des diverses couches, surtout les jeunes et populations vulnérables.
- Eviter les programmes qui se limitent uniquement à l’offre des services.
- Faire conduire les programmes par des prestataires formés sur les réalités de la situation humanitaire.
- Explorer davantage les interventions telles que l’auto-soin et le partage des tâches dont l’importance a été démontrée durant la COVID-19.
- Renforcer la chaîne d’approvisionnement et élargir la gamme des produits disponibles notamment la contraception d’urgence et les contraceptifs à longue durée d’action.
- Renforcer la collecte, l’analyse et l’utilisation des données pour l’offre de services de contraception adaptés en contexte de crise.
Il est aussi nécessaire d’étendre et d’institutionnaliser les mécanismes qui ont été mis en place au cours de la COVID-19, d’Ebola et d’autres crises pour améliorer la disponibilité et l’accès aux contraceptifs, notamment la fourniture plurimensuelle de méthodes à courte durée d’action, la télémédecine et les protocoles numériques.
Les acteurs de la SR/PF doivent tirer leçon des diverses crises qui se succèdent pour mieux faire face aux prochaines crises. Ce n’est qu’à ce prix que des progrès durables et significatifs seront engrangés. A l’instar de la 10ème RAPO, d’autres creusets et plateformes de réflexions et de discussions devraient servir aux acteurs pour apprendre les uns des autres et développer des stratégies probantes pour affronter efficacement les défis liés à la planification familiale en contexte humanitaire.