Avec le rythme actuel de la progression de l’utilisation des méthodes modernes de contraception, les pays-membres du Partenariat de Ouagadougou (Bénin, Burkina Faso, Guinée, Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Togo) ne pourront opérer leur révolution contraceptive que dans 65 ans. Pourtant, une condition nécessaire pour accéder au développement.
«Il n’y aura pas d’émergence sans transition démographique et cela n’arrivera jamais sans révolution contraceptive ». Ces mots sont du directeur de recherche à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Jean Pierre GUENGANT, prononcés le 10 décembre 2015, à l’occasion de la Réunion Annuelle du Partenariat de Ouagadougou (PO), à Cotonou au Bénin. Chaque année, et ce depuis 2011, l’utilisation des méthodes de contraception augmente de 0,7% dans cette partie de l’Afrique, selon les statistiques du Partenariat de Ouagadougou. Avec ce rythme actuel de progression, l’Afrique de l’Ouest francophone a 65 ans à parcourir pour parvenir au développement.
Jean Pierre Guengant, chercheur démographe, ancien directeur de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) au Burkina, connaît bien les enjeux démographiques de l’Afrique de l’Ouest, pour y avoir mené plusieurs études. Ses conférences présentent toujours un intérêt particulier pour les acteurs de la population.
Dans une salle tout ouïe, il a commencé par une clarification des concepts. Selon lui, la révolution contraceptive est l’utilisation de la méthode de contraception par 60 à 80% des femmes. Autrement dit, 60 à 80% des femmes maîtrisent leur vie sexuelle et reproductive.
Sont dans cette fourchette, les pays comme le Brésil, le Mexique, la Thaïlande, la Corée et quasiment tous les pays émergents. Pour GUENGANT, si les mentalités ne changent pas, avec le rythme de progression de 0,7%, il faut 65 ans pour réaliser la révolution contraceptive au Bénin, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Sénégal et au Togo.
« Il y a un retard qui tient sur un ensemble de facteurs, les traditions, les normes natalistes, le pouvoir des hommes à imposer aux femmes le nombre d’enfants, le faible engagement du gouvernement et de la société civile », explique –t-il.
Les stratégies d’espacement des naissances menées présentement dans les différents pays ouest-africains francophones n’apporteront pas la solution, soutient le démographe. Si les tendances démographiques ne baissent pas, la plupart des pays du PO vont tripler leur population d’ici à 2030. Actuellement, le nombre d’enfants par femme, selon les Enquêtes démographiques et de santé (EDS) des pays du PO, varie entre 5 et 7. La population du Burkina par exemple sera, selon l’Institut national de la statistique (INSD), plus de 55 millions en 2030.
En illustration, une fille qui commence à planifier ses naissances à l’âge de 15 ans pourrait avoir 6 à 7 enfants et cela reste toujours élevé. Elle aura un enfant avant 20 ans ; entre 20-35 ans 4 enfants et 35 ans et plus deux gosses. Le taux de besoin non satisfait, c’est-à-dire celles qui veulent utiliser une méthode mais n’en pratiquent pas, est très élevé en Afrique de l’Ouest. Il est d’environ 25%. Pire, celles qui n’ont pas d’avis sur l’utilisation des méthodes de contraception et le nombre d’enfants désirés sont encore plus nombreuses (elles n’ont aucun avis sur l’usage de la contraception).
Le problème, prévient Guengant, lorsque la population croît trop vite, il est difficile de s’adapter, de satisfaire les besoins des populations en santé, en éducation, en emploi, en logement, etc. Par contre, si elle croît modérément, elle est maîtrisée et la jeunesse peut, en ce moment, être un capital humain et un atout pour son développement. « Si les jeunes du pays sont nombreux et que le pays n’arrive pas à satisfaire leurs besoins, ils peuvent se révolter. Il y a des choix stratégiques de société qui doivent être faits consciemment au-delà des positions dogmatiques », insiste le démographe. Pour lui, il faut aller au-delà des politiques actuelles.
« L’espacement de naissances n’est pas une solution pour atteindre la révolution contraceptive. C’est une erreur. Aucun pays émergent n’a aujourd’hui plus de 3 enfants par femme. L’homme est un être doué d’intelligence, il faut que les gens cessent de croire que la femme est une machine à reproduire. La solution, c’est la reconnaissance des droits de la femme », assène-t-il.
A quand la révolution contraceptive en Afrique ? Elle prendra, avertit l’expert GUENGANT, plus de temps au moins 30 ans, s’il y a des politiques courageuses en faveur de la planification familiale. Car, cette révolution nécessite une vision holistique, des convictions, une reconnaissance des droits de la femme, un engagement permanent et une révision complète des approches.
Boureima SANGA