Depuis la signature, lundi 23 janvier, par le président Donald Trump d’un décret interdisant le financement par le gouvernement fédéral américain d’organisations internationales qui pratiquent ou soutiennent l’avortement, de nombreuses structures de planning familial en Afrique s’inquiètent et dénoncent une décision contre-productive.
Ce décret concerne les organisations non gouvernementales (ONG) étrangères qui reçoivent des fonds de l’USAID, l’agence américaine pour le développement international. Pour continuer à percevoir cette aide, les ONG devront s’engager par écrit auprès de l’administration Trump à cesser toute activité liée à l’avortement.
Un financement difficile à remplacer
Depuis plus de quarante-cinq ans, les Etats-Unis permettent d’améliorer l’accès des femmes à la contraception dans les pays les plus pauvres, grâce à l’USAID. En 2016, les Etats-Unis ont dépensé 607 millions de dollars pour les programmes de santé reproductive et la planification familiale.
Mais, en 1984, Ronald Reagan instaure la global gag rule (« règle du bâillon mondial ») aussi connue sous le nom de « politique de Mexico », qui permet de suspendre ces aides et fait l’objet depuis d’un ping-pong politique, successivement suspendue par les présidents démocrates et réinstaurée par les républicains. Levée une première fois par Bill Clinton en 1993, elle a été rétablie par George W. Bush en 2001, puis à nouveau suspendue par Barack Obama en 2009.
Selon les chiffres de l’OCDE, 237 millions de dollars (221 millions d’euros) d’aide au planning familial ont été distribués en Afrique subsaharienne en 2015 par les Etats-Unis. Le pays assure 82 % de l’aide publique bilatérale reçue par la région pour financer ses politiques de population.
« Grâce aux financements américains, on a pu couvrir des zones très reculées » explique Maaike van Min, directrice de programme au Mali, au Niger, au Burkina Faso et au Sénégal pour Marie Stopes International. Avec « 17 % de notre budget fournit par l’USAID, précise-t-elle, on ne va plus être en mesure d’approcher ces populations isolées ». Même son de cloche du côté de plus petites structures qui agissent au niveau national. « Beaucoup de vies ont été sauvées grâce à l’USAID, explique Pierre Itembe, directeur de programme au Reproductive Health Uganda, membre de la fédération internationale du planning familial (IPPF). Il va être très difficile de remplir le vide. Certains centres de santé vont sûrement devoir fermer et on distribuera moins de moyens contraceptifs. Dans un pays comme l’Ouganda, très jeune, où le VIH est élevé, les conséquences peuvent être dramatiques. »
La mesure serait même contre-productive selon de nombreuses associations qui pointent le risque de voir le nombre d’avortements augmenter dans un contexte où l’accès aux moyens de contraception sera plus difficile. C’est en tout cas la conclusion d’une étude publiée en 2011 par des chercheurs de l’université de Stanford portant sur vingt pays d’Afrique subsaharienne pendant la présidence de Georges W. Bush.
Selon un article de l’Institut Guttmacher, organisme de recherche favorable à l’avortement, l’Association pour le planning familial du Lesotho (LPPA) avait reçu 426 000 préservatifs de l’USAID pendant deux ans au cours de l’administration Clinton. Mais sous l’ère Bush, l’USAID a mis fin aux envois de ce mode contraceptif vers le pays, la LPPA étant la seule structure disponible pour leur distribution.
Vers de nouveaux réseaux de solidarité
L’enjeu pour les ONG de planning familial est désormais de trouver de nouvelles sources de financement. Le soir même de l’annonce de Donald Trump, la ministre néerlandaise chargée de la coopération au développement, Lilianne Ploumen, a été l’une des premières en prenant « l’initiative d’un fonds international pour offrir aux femmes dans les pays en voie de développement l’accès à de bonnes informations, à des moyens contraceptifs et à l’avortement ». Les Pays-Bas ont promis 10 millions d’euros. Une initiative à laquelle s’est joint son homologue belge Alexander De Croo. « On est en train d’essayer de créer une fédération internationale, reconnaît Maria Andersson, secrétaire générale de la RFSU, association suédoise pour l’éducation sexuelle. On est en contact avec les gouvernements suédois, hollandais, belge et britannique pour obtenir de nouveaux financements. »
D’autres restent plus sereins et attendent de voir. « Pas de quoi s’effrayer, lance avec optimisme Allo Richard, directeur de l’Association ivoirienne pour le bien-être familial (AIBEF). Il y a en Côte d’Ivoire de grands hommes d’affaires ou des sportifs de renommée que nous avons commencé à approcher. Il faut qu’on se recentre sur nos ressources locales. Et surtout il va falloir faire d’avantage de prévention en amont. Beaucoup l’ont fait avant nous, sans davantage de moyens. »
Source: LeMonde.fr