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Mabingue Ngom : « Le bilan post-conférence du Caire reste mitigé »

En marge de la récente conférence internationale sur la population et le développement (CIPD25), tenue à Naïrobi, au Kenya, notre envoyé spécial a tendu son micro au Directeur régional Afrique de l’ouest du Fonds des Nations unies pour la population et le développement, Mabingue Ngom. De ce qui a été fait depuis la conférence fondatrice du Caire en 1994, il dresse un bilan plutôt mitigé. Si un véritable bond a été réussi par rapport à la lutte contre la mortalité maternelle, les défis demeurent encore énormes en ce qui concerne les mariages précoces, la planification familiale ou encore l’épineuse question des MGF. Pour autant, Mabingue Ngom ne désespère guère. D’une part, il comprend la lenteur avec laquelle on obtient des résultats sur des sujets qui touchent aux phénomènes sociaux. D’autre part, il pense qu’il y a une mobilisation et un engagement qui incitent à l’optimisme.

Les jeunes sont particulièrement représentés à cette conférence de Naïrobi. Comment l’expliquez-vous ?

Mabingue Ngom : écoutez ! Moi j’encourage toujours de travailler avec les jeunes générations.  Il est extrêmement efficace d’apprendre à ce jeune garçon de 3 ans à respecter sa sœur et à respecter ses ainés. Si vous réussissez ce pari, vous n’aurez plus besoin de vous répéter quand il sera grand. Vous allez seulement constater le changement à son niveau. Mais je ne suis pas sûr qu’on a besoin d’un tel niveau d’investissement pour une personne qui a 40  ou 50 ans. Donc, il faut qu’on agisse avec un peu plus d’intelligence, un peu plus de recul, un peu plus de raison. On est plus efficace en travaillant avec les enfants. Je suis convaincu que nous pouvons gagner ce pari, que nous n’avons pas d’option que de gagner ce pari avec ces instruments efficaces.

Doit-on en déduire qu’il faut par conséquent patienter en ce qui concerne l’atteinte de la totalité des objectifs de la conférence du Caire ?

Si vous allez à McDonald pour acheter un sandwich, vous allez attendre qu’on le prépare ! On ne peut pas changer le monde en 24 heures, mais nous devons accélérer tout en restant conscient que nous travaillons sur des phénomènes sociaux, ancrés dans les réalités. Toutefois, moi je reste optimiste à la lumière des changements qui s’opèrent dans les communautés considérées comme les plus radicales.

Etes-vous satisfait de ce qui a été fait ces derniers 25 ans, depuis la conférence du Caire ?

Je dirai que je suis mitigé. Nous avons réduit  de 45% la mortalité maternelle. Et c’est un progrès extraordinaire en termes de nombre de vies sauvées, en termes de familles sauvées. Parce qu’une femme qui meurt, c’est une famille qui s’éclipse. Donc, en faisant 45% dans la réduction de la mortalité maternelle, on doit être positif. Mais on est négatif, on n’est pas satisfait parce que nous avons encore dans beaucoup de pays (Sierra-Léone, Tchad, etc.), nous sommes très loin des objectifs que nous nous étions fixés en 1994. Les femmes continuent de mourir comme des mouches parce qu’il y a un problème de moyen. Quand vous rentrez dans certains pays, les taux sont extraordinairement alarmants. Ce sont des endroits que nous devons  privilégier. Et je pense que dans ces communautés, les gens n’ont de chance de survie que de notre action.

Mais le défi ne porte pas que sur la mortalité maternelle !

C’est vrai ! Nous avons les mariages précoces. Le travail fait dans ce domaine nous a permis de réduire le phénomène de 10%. Ce n’est pas très brillant ! Nous devons faire mieux. Dans la planification familiale, nous avons fait un saut de 25%. C’est un pas important. Mais il faut un accès universel pour que la femme, partout où elle se trouve, puisse avoir un contrôle sur sa santé. C’est un problème de droit. Le sommet de Nairobi doit être une chance de gagner ce pari. Qu’on n’attende pas encore 25 ou 50 ans.

Les mutilations génitales féminines aussi sévissent encore dans certains pays…

C’est vraiment triste. Certains pays constituent l’épicentre de ce phénomène : la Guinée, le Mali, la Sierra-Léone etc. Dans ces pays, la mutilation génitale est une institution. C’est comme si vous allez dans un pays musulman et vous demandez d’enlever les mosquées. Il est d’ailleurs intéressant de voir que des progrès dans la lutte contre la pratique y sont visibles. Pour faire bouger les lignes dans un tel contexte, il faut un travail fondamental. Ce n’est pas un travail de 2 ou 3 jours.

Le thème de la rencontre de Nairobi porte sur le respect des engagements. Et il apparaît en filigrane des différent discours qu’il y a des soucis de financement des projets. C’est vraiment le cas ?

Moi je crois que l’argent ne fait pas le développement. C’est vrai qu’il est indispensable pour accélérer et aller de l’avant. Mais si c’est une priorité, je pense qu’on doit pouvoir créer l’espace fiscal. Et avec  les engagements et les volontés qui ont été formulés à ce sommet, je pense qu’on ne doit pas avoir un problème de financement.

Auriez-vous un message à l’endroit des décideurs du monde ?

Je dois d’abord les féliciter pour leurs engagements respectifs à Nairobi. Nous les encourageons à faire en sorte que ces engagements soient suivis d’effets rapidement, parce que nous devons accélérer. Un engagement qui n’est pas suivi d’effet n’en est pas un. A la limite, il est préférable de ne pas prendre d’engagement que de prendre un engagement qui n’est pas suivi d’effet. Donc, je voudrais leur dire qu’à chaque minute qui passe des femmes meurent pendant l’accouchement, des filles sont mutilées, des mineures sont données en mariage. Donc, agissons maintenant et vite.

Gilles Mory Condé

Publié le 22-11-2019 dans ledjely

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