Chamssiya Laouali a 20 ans. Mariée, puis divorcée, cette mère de deux enfants dont le dernier a quatre ans, est venue très tôt ce jour-là au CSI 17 portes de Maradi. Comme les autres femmes assises qui attendaient leur tour pour voir la sage-femme, Chamssiya veut bénéficier d’une méthode de contraception.
A la question posée par Mme Hadiza Saminou, la sage-femme, de savoir quels sont les produits contraceptifs qu’elle connaît, Chamssiya répond sèchement : aucun. « Je vais t’expliquer les différentes méthodes qui existent dans cette mallette » affirme la sage-femme avant de commencer le counseling. Au cours de cette séance de causerie, elle lui présenta toutes les méthodes et tous les produits en prenant soin de demander à la jeune femme, de toucher le produit, de le prendre entre ses mains.
Chamssiya s’exécuta, mais apparemment sans beaucoup d’intérêt, car elle est arrivée au centre avec déjà une idée de la méthode qu’elle veut adopter. Et c’est sans surprise qu’elle dit avec colère à la sage-femme :« Moi, je vais me remarier dans quelque temps, c’est pourquoi je suis venue chercher une méthode qui me permettra de faire deux ans avant de contracter une grossesse ».
A la question de la sage-femme de savoir, si elle a informé son futur mari. Chamssiya rétorqua : « Pourquoi, c’est moi que ça concerne d’abord. Je suis seule à savoir pourquoi je veux ces produits avant le mariage. Je suis prête à les prendre pourvu que je ne tombe pas enceinte aussitôt après le mariage ». La sage-femme la calme en continuant le counseling, au terme duquel elle opta pour l’injectable. Puisque le choix est fait, la sage-femme réoriente les questions pour savoir si elle souffre d’une maladie avant de lui administrer le produit.
Halima Salissou est, elle âgée de 40 ans. Elle est déjà sous pilule et son enfant a huit mois. « Je vais te parler encore des différentes méthodes et leurs avantages » lui dit la sage-femme en ouvrant la mallette contenant toutes les méthodes de contraception. Calmement, Mme Hadiza Saminou lui expliqua produit par produit, quand faut-il les prendre, comment et pendant quelle période en prenant le soin de demander à la femme si elle a déjà vu une fois le produit, si elle l’a utilisé avant de lui proposer de toucher le produit, de le prendre entre ses mains. Et de lui demander si elle a des questions à poser.
Après le counseling, la sage-femme examine le dossier de la cliente et remarque qu’elle n’a pas respecté son rendez-vous. Ce par rapport à quoi, la femme répond qu’elle était malade, couchée pendant plus de deux mois et qu’elle habite loin de ce centre. « Pourquoi tu n’es pas allée dans un centre plus proche ? lui demande la sage-femme. Je ne savais pas qu’on peut changer de centre. La sage-femme répond par l’affirmatif et lui conseille de ne plus prendre du retard et de ne pas écouter les rumeurs.
Pour s’assurer que la femme a bien assimilé, elle lui demande de lui présenter à son tour toutes les méthodes se trouvant dans la mallette. Après ce long entretien, Halima manifeste le souhait de ne plus pratiquer une contraception de longue durée. La sage-femme lui remet une plaquette de pilules et lui fixe un autre rendez-vous d’une semaine.
Au CSI 17 portes de Maradi, chaque jour, 15 à 20 femmes viennent demander une méthode de contraception selon Mme Haoua Ibrahim sage-femme dudit centre. « Ces chiffres ont évolué par rapport aux années précédentes. Nous avons deux sites sur lesquels nous faisons la PF : la Maternité et le CSI ». Parfois, nous avons jusqu’à 100 nouvelles utilisatrices inscrites par mois, précise Haoua. Les femmes de toutes les tranches d’âge fréquentent le CSI 17 portes de Maradi qui leur offre toutes les huit méthodes de contraception composées notamment des implants, des injectables, des méthodes de barrière et des contraceptifs oraux.
Ici aussi, les femmes ont franchi une barrière avant de mettre les pieds dans ce CSI : l’obtention de l’accord du mari. Ce oui, important, permet aujourd’hui à beaucoup de femmes de la région de pratiquer la PF. Même le post partum, témoigne Mme Mossi Sébastienne, responsable de la maternité 17 portes de Maradi. Elle explique qu’il y a deux types de post partum : l’immédiat et le post partum après les 48 H, qui suivent l’accouchement. « De trois jours jusqu’à la sixième semaine, c’est l’autre forme de PF. La PF du post partum immédiat commence dès la consultation prénatale. Et nous sommes en train de prôner le post partum de longue durée », affirme Mme Mossi.
Elle précise qu’il y a des femmes qui acceptent le post partum immédiatement, mais c’est timide.« Sur dix femmes qui accouchent, on peut avoir deux ou trois qui acceptent cette méthode. Les autres veulent attendre la quarantaine avant de revenir pour prendre une méthode contraceptive », ajoute la sage-femme qui pense que le nombre de femmes n’est pas important au niveau du post Partum parce que les femmes se cachent toujours derrière la religion et nos coutumes.
Difficultés multiples
Or selon Mme Mossi Sébastienne, l’importance de la PF est qu’elle permet de réduire le taux de mortalité maternelle et néo natale. Malheureusement, « certains hommes n’ont aucune notion sur ça et pense que la PF, c’est pour limiter les naissances ». L’autre difficulté évoquée par la responsable de la maternité 17 portes de Maradi, c’est l’abandon, mais précise-t-elle, les cas sont rares. « La femme peut décider d’abandonner pour plusieurs raisons ».
Il y a de cela un mois se rappelle la sage-femme, un marabout dont on a inséré un implant à l’épouse sans selon lui son accord est venu directement demander à la maternité qu’on enlève ça à la femme ou c’est le divorce. La femme voulait conserver son implant, mais le mari l’oblige à l’enlever et c’est ce qui fut fait. « Mais automatiquement nous avons décidé de mettre la femme sous une autre forme de méthode contraceptive parce qu’elle n’est pas prête pour contracter une grossesse. Cela veut dire que cette femme va faire la PF en cachette », affirme-t-elle.
Pour la sage-femme du CSI aussi, les difficultés sont relatives aux longues durées. En effet, « les femmes adoptent ces méthodes, mais elles reviennent seulement après quelque temps deux ou trois mois dès qu’il y a les effets secondaires pour nous dire que leur mari exige de les enlever et qu’il menace même de divorcer ». Selon Mme Haoua Ibrahim, il y a des abandons, le taux peut être estimé à 2 %.« D’ailleurs, nous avons compris que quand les femmes adoptent les courtes durées, c’est juste le temps de sevrer les bébés et elles ne reviennent plus.
Il y a aussi les rumeurs qui, selon elle contribuent toujours à décourager certaines femmes surtout avec les réseaux sociaux. Il y a quelque temps, se rappelle Mme Haoua Ibrahim, les femmes ont vu sur les réseaux sociaux, une Nigériane qui a eu des soucis avec les implants. Dès qu’elles ont vu, les images, beaucoup sont venues au CSI pour demander qu’on leur enlève l’implant.
Mais les sages-femmes ne baissent pas les bras. Elles mettent l’accent sur la sensibilisation et décident de ne pas travailler seules. « Il y a des relais qui vont presque chaque jour dans les quartiers, font le porte-à-porte pour informer les femmes sur la PF. Les sensibilisations ont beaucoup contribué à amener les femmes à pratiquer la PF. « Nous demandons aux femmes de faire la PF pour se reposer au moins deux à trois ans et aux maris de laisser leurs femmes pratiquer la PF. Dans tous les cas, ce sont les femmes qui souffrent, les maris ne savent même pas ce que les femmes endurent », affirme la sage-femme.
Abondant dans le même sens, Mme Mossi Sébastienne, responsable de la maternité 17 portes de Maradi, loue la collaboration des relais en matière de sensibilisation. « Nous atteignons beaucoup de femmes à travers les relais dans les quartiers et dans leur domicile. C’est elles qui nous informent sur le nombre de femmes enceintes qui sont au dernier mois de la grossesse et qui doivent accoucher dans une maternité et après l’accouchement, il faut expliquer à leurs maris de les laisser faire la PF qui est gratuite ».
Ce n’est pas l’agent de santé qui impose la durée de la contraception, mais plutôt c’est le couple qui choisit, précise-t-elle avant d’ajouter que « la sensibilisation se fait à travers le zonage des femmes relais à qui on attribue un certain nombre de concessions dans lesquelles, elles rentrent pour faire la sensibilisation ».
C’est cette activité que mène depuis 2008, Mme Seydou Fati Abdou, relais au CSI 17 portes de Maradi. Son choix n’est nullement le fait d’un hasard. « J’ai remarqué que nos femmes ont des problèmes, c’est pourquoi j’ai décidé de mener ces activités pour aider les femmes, leur donner des conseils sur leur santé et celle de leurs enfants. Les activités consistent à aller dans les maisons où, nous nous entretenons avec les femmes sur l’Hygiène générale (lavage des mains, l’hygiène corporelle, l’hygiène vestimentaire, alimentaire, l’entretien de la maison…).
Ensuite nous conseillons aux femmes de dormir avec leurs enfants sous une moustiquaire imprégnée. Puis nous leur donnons des conseils sur les consultations prénatales de préférence que la femme se présente aux consultations dès le troisième mois de la grossesse pour un bon suivi. Nous conseillons également aux femmes de venir accoucher à la maternité pour éviter l’accouchement à domicile. A l’accouchement, nous demandons à la femme si le même jour, elle peut prendre un contraceptif pour l’espacement des naissances. Sinon nous la conseillons de revenir pour choisir une méthode », affirme Fati.
Dans notre activité, ajoute-telle, nous recensons aussi les perdues de vue, c’est-à-dire les femmes ayant abandonné. Dans ce cas, nous allons à leur recherche. Les relais tiennent aussi des réunions avec les hommes et les marabouts dans les quartiers et au niveau de la mairie pour demander aux influents du quartier de conseiller les hommes pour qu’ils laissent leurs femmes faire la contraception.
Fati reconnaît qu’au cours des réunions avec les marabouts et les chefs de quartiers, « il y a des résistances surtout avec les jeunes religieux qui ne veulent pas que les femmes prennent les contraceptifs. Mais entre nous si la femme veut prendre des produits contraceptifs, souvent elles ne demandent même pas l’avis du mari, elles viennent directement au CSI, elles prenent et s’en vont », affirme –t-elle.
Ce travail que mène Fati depuis 2008 et pour lequel elle n’est pas rémunérée, a, selon elle, ses contraintes. « Nous n’avons ni blouse, ni badge pour prouver que nous sommes de la santé et accéder facilement aux habitations ». Mais elle ne se décourage pas et compte poursuivre son œuvre dans la sensibilisation des populations surtout les femmes.
Fati pense en effet que « l’espacement des naissances est important surtout avec la cherté de la vie. Avec la PF, la femme se repose et l’homme gagne un peu de temps par rapport aux nombreuses dépenses lors des baptêmes. « Ce qui n’est pas le cas si la femme accouche par exemple cette année, l’année prochaine elle accouche, l’année qui suit elle accouche aussi…c’est tout un problème même pour acheter le mouton de baptême. Mais avec deux ou trois ans d’espacement le couple a le temps de se préparer et l’enfant aussi va bien se développer », affirme la femme relais.
Ce sont les mêmes arguments que Fati développe et défend au niveau des religieux. Mais elle reconnaît tout comme les sages-femmes que ce n’est pas facile. « Certains religieux nous soutiennent, travaillent avec nous et nous leur demandons de faire des prêches pour que les hommes laissent leurs femmes pratiquer la PF, d’autres opposent une résistance ».
Par Fatouma Idé, envoyée Spéciale (onep)
Publié le 06-03-2020 dans lesahel