Nous sommes dans le village de Kpévégo situé sur la Nationale N°1, à environ 22 km de la ville de Tsévié (35 km au nord de la capitale togolaise, Lomé). Sous un hangar devant sa demeure, Da Amy est assise entouré de ses trois (3) enfants dont la dernière a moins de 2 ans et, continue d’être nourrie au sein maternel. Âgée d’à peine 25 ans, cette jeune femme est à sa cinquième grossesse qui est déjà de 20 semaines. Dans la plupart des villages et localités reculées du Togo, il n’est pas rare de voir ce triste tableau. Selon l’EDSTIII de 2014, le taux de prévalence contraceptive (TPC) des femmes au Togo est de 19,9%. Cependant, des familles non épanouies et une jeunesse avec une sexualité non responsable, entrainant des grossesses précoces et des avortements aux conséquences multiples, constituent de sérieux handicaps pour le développement d’un pays.
D’après Wikipedia, « la planification familiale ou le planning familial est l’ensemble des moyens qui concourent au contrôle des naissances dans le but de permettre aux familles de choisir d’avoir un enfant ». Autrement dit, la planification familiale englobe tous les moyens mis à la disposition des individus ou des couples afin de leur permettre d’éviter les grossesses non désirées et de choisir en toute liberté le nombre d’enfants à avoir. Par ailleurs, la planification familiale comporte d’autres avantages notamment la prévention de l’infertilité et la lutte contre les Infections Sexuellement Transmissibles (IST). Chez la femme essentiellement, l’utilisation des méthodes hormonales de contraception (les pilules par exemple) permet de corriger certains troubles de la fertilité.
« L’infertilité est l’incapacité pour une femme de tomber enceinte ou pour un homme d’occasionner une grossesse en dépit du fait que le couple entretient des rapports sexuels en nombre conséquent et n’utilise aucune méthode contraceptive pendant au moins 1 an. Au cours des consultations de planification familiale, nous donnons des informations au couple sur l’impact de l’âge. Concernant l’âge, la fertilité est maximale chez la femme entre 25 et 30 ans ; ensuite les chances de concevoir un enfant commencent à baisser. A 40 ans, la fertilité spontanée est de 50% et s’annule autour de 43 ans. Nous instruisons donc les femmes sur le fait qu’à la ménopause, elles ne peuvent plus concevoir. De même pour l’homme, les chances de mettre une femme enceinte diminuent à partir de 50 ans. On se réfère à cette période comme étant l’andropause », explique Dr M’Bortche Bingo Sylvain, Gynécologue-Obstétricien et Chef Division Médicale à l’ATBEF (Association Togolaise pour le Bien-être Familial). « En ce qui concerne la prise en charge des Infections Sexuellement Transmissibles (IST), les études ont montré que la plupart des causes de l’infertilité sont les séquelles des infections aussi bien chez l’homme que chez la femme. Ainsi donc, l’ATBEF promeut l’utilisation des moyens de prévention des IST, tels que les préservatifs féminin et masculin », renchérit-il.
Membre de la Fédération Internationale pour la Planification Familiale (IPPF), l’ATBEF (Association Togolaise pour le Bien-être Familial) est une ONG apolitique implantée au Togo depuis 1975. Elle a pour mission d’offrir des services de santé sexuelle et de la reproduction à la population togolaise. Ainsi donc, l’ATBEF se positionne en tant que leader en matière d’offres de services de planification familiale sur toute l’étendue du territoire togolais, contribuant ainsi à hauteur de 20 à 25% du couple-année de protection (CAP) dans le pays (selon les données de l’année 2015). En effet, le couple-année de protection (CAP) est l’indicateur de base 13 permettant de calculer la prévalence contraceptive dans un pays ou dans un milieu donné. Par conséquent, plus le CAP est élevé, plus la prévalence contraceptive est importante.
Dans le cadre de la planification familiale, le CAP est fonction des méthodes contraceptives utilisées par les femmes. Selon Dr M’Bortche, « plusieurs stratégies sont mises en place pour informer et éduquer les femmes à l’utilisation des méthodes contraceptives. Il s’agit de la distribution à base communautaire qui consiste à offrir des services de planification familiale dans les milieux ruraux où il n’y a pas de structure sanitaire ; la formation des agents de santé communautaires sur les méthodes contraceptives de courte durée d’action (pilules, préservatif, injectables) à proposer aux patients; la clinique mobile de l’ATBEF qui se déplace dans les villages reculés pour offrir les services de planification de longue durée d’action et l’offre de service de planification de masse pendant les journées événementielles comme celles en rapport avec la santé par exemple ».
Comment la planification familiale peut-elle contribuer à avoir une population saine et épanouie ? Étant le premier noyau d’un peuple, la famille revêt une importance capitale et permet de perpétuer les générations. En effet, la planification familiale est la première garantie du bien-être des populations. Elle permet de réduire la proportion de filles-mères avant l’âge de 18 ans et des femmes enceintes au-delà de 35 ans. Dans le premier cas, une grossesse précoce avant 18 ans met en danger la vie de la mère et de l’enfant : risque de fistule obstétricale pour la mère et la forte probabilité de donner naissance à un enfant maladif. Une femme enceinte au-delà de ses 35 ans pourrait avoir des complications lors de l’accouchement et il est fréquent de noter des malformations du côté de l’enfant. En outre, la planification familiale a pour objectif de réduire le pourcentage des femmes qui accouchent de plus de 4 enfants à intervalles de moins de 2 ans. Lorsqu’une femme développent plus de 4 grossesses, l’utérus se fragilise et le risque d’une hémorragie post-partum est élevé. « Il faut au minimum 1000 jours entre un accouchement et une nouvelle grossesse pour que la femme puisse se remettre des séquelles de la première grossesse. L’enfant précédent pourra bénéficier des avantages de l’allaitement maternel et avoir le temps de bien grandir », indique Dr M’Bortche. La baisse des grossesses non désirées et des avortements; la lutte contre la mortalité infantile et la réduction de la proportion des femmes souffrant d’infertilité, d’IST, de MST ou du VIH Sida sont, entre autres, les enjeux de la planification familiale.
Dans le cas de Da Amy dont l’exemple a été donné en début de cet article, les jumeaux issus de sa deuxième grossesse n’ont pas survécus. « Ma fille ainée avait moins de 3 ans quand j’étais tombée enceinte des jumeaux. C’était une grossesse particulièrement difficile et j’étais malade tout le temps. Quelques semaines après leur naissance, mes deux garçons sont morts », raconte-t-elle. « Actuellement, je suis encore enceinte alors que ma fille n’a qu’un an et demi. Cela m’épuise beaucoup. J’ai l’habitude d’accoucher à domicile avec l’aide d’une matrone du village. Mais depuis cette grossesse, je vais régulièrement en consultation prénatale au centre de santé communautaire et je compte adopter une méthode injectable de contraception dès que mon enfant sera né », ajoute Da Amy qui a été vivement encouragée par sa cousine Yawa. Celle-ci partage son expérience : « Alors que mon premier enfant a atteint 1 an, la sage-femme m’a parlé de l’injectable pour éviter une nouvelle grossesse. Au début, j’ai été réticente parce qu’il se raconte que ça rend malade. Mais, finalement je l’ai adopté avec l’accord de mon mari. Aujourd’hui, j’ai deux enfants sains : l’aîné a 5 ans et le cadet, 6 mois ».
A cause de la relative pauvreté des populations dans les milieux ruraux, la prise en charge médicale dans les structures sanitaires s’apparente presqu’à un luxe réservé à quelques familles. « Dans les villes, le coût du suivi des grossesses et de l’accouchement sont parfois très chers mais, ce n’est pas le cas dans les villages. Lorsqu’elles viennent en consultation prénatale ou postnatale, les femmes sont informées et sensibilisées sur les bienfaits de la planification familiale. Mais, la plupart des femmes ne viennent pas à l’hôpital pour accoucher. Dans notre centre de santé par exemple, l’accouchement est à 10000 FCFA (ndlr, soit environ 14 euros). Mais, les femmes enceintes préfèrent accoucher à domicile avec tous les risques que cela comporte », regrette Essenam Agbotsè, sage-femme dans un centre de santé communautaire de la localité. Cette situation constitue un réel handicap dans la promotion des moyens de planification familiale. C’est d’ailleurs en ce sens que le Togo avait élaboré un plan d’action (2013-2017) pour le repositionnement de la planification familiale en partant du schéma selon lequel des femmes et des enfants sains dans une famille épanouie sont la garantie pour le développement d’un pays. En effet, les ressources humaines constituent la première richesse d’une nation. Au Togo où plus de la moitié de la population est jeune, il est plus qu’urgent d’éduquer cette jeunesse à une sexualité responsable.
En outre, le Togo adopte depuis plusieurs années une politique visant la promotion de la santé de la mère et de l’enfant en vue d’assurer à la population une vie socialement et économiquement productive. Par conséquent, dans le cadre du Partenariat de Ouagadougou, les pouvoirs publics togolais se sont engagés dans la promotion des objectifs stratégiques nationaux en matière de planification familiale contenus dans le plan d’action national budgétisé de planification familiale 2017-2022.
En vue d’avoir une prévalence contraceptive optimale et de réduire les besoins non satisfaits en matière de planification familiale, l’ATBEF effectue des démarches efficientes afin de responsabiliser des décideurs politiques. « Avant la mise en œuvre des projets de distribution à base communautaire et des injectables ainsi que la circulation de la clinique mobile de village en village, il a fallu faire un plaidoyer auprès des pouvoirs publics. Actuellement, l’ATBEF est en train d’élaborer un projet sur le dépistage et la prise en charge des lésions précancéreuses chez la femme (ndlr, cancer du sein et du col de l’utérus) qui rentrent également dans le cadre de la santé sexuelle et de la reproduction. De plus, notre ONG effectue un plaidoyer continuel afin que l’Etat togolais prenne des dispositions pour intégrer dans le curricula des formations scolaires et professionnelles le volet de l’éducation sexuelle complète. Ainsi, l’impact ne serait que plus grand », a laissé entendre Dr M’Bortche Bingo.
ESSI BRATHOLD
Publié le 24-10-2018 dans Togo top infos