Entre libération féminine et croissance économique, le Sénégal a fait du contrôle des naissances un projet de société fédérateur. Récit et rencontres.
« Il est 5 heures, Pikine s’éveille. Ilest 5 heures et j’ai sommeil… » pourraient reprendre en chœur les femmes de cette banlieue de Dakar abritant plus de 900 000 habitants. Tandis que l’appel du muezzin retentit, seuls les ânes s’ébrouent dans les ruelles sablonneuses. Dans leurs courettes, les femmes s’activent déjà, préparant le petit déjeuner. À 7 heures, filles et garçons en uniforme prennent le chemin de l’école. On s’étonne : il y a peu de tout-petits. Les femmes éclatent de rire. «Maintenant, on espace les naissances», répondent- elles, enchantées. Toutes vivent l’accès à la contraception comme une forme d’autonomisation irréversible. Derrière cette (r)évolution, un programme soutenu par des financements extérieurs, mais entièrement imaginé et mis en œuvre localement. La conviction de ses responsables ? Parce qu’elle permet d’échelonner les grossesses, la contraception contribue à diminuer la mortalité infantile et maternelle, tout en améliorant les conditions de vie de chacun.
« PENDANT LONGTEMPS, LE CONTRÔLE DES NAISSANCES N’A PAS ÉTÉ UNE PRIORITÉ »
À la pointe ouest de l’Afrique, le Sénégal est un pays pauvre, avec un revenu annuel brut moyen de 925 € par habitant en 2014*. Près de la moitié de la population a moins de 15 ans. Ici, beaucoup de femmes se marient avant l’âge de 20 ans et ont en moyenne cinq enfants.
L’énergique ministre de la Santé et de l’Action sociale, la Professeure Awa Marie Coll Seck, nous explique que « d’ici à 2035, l’un des objectifs du Plan Sénégal émergent consiste à investir dans le capital humain. Pour cela, la population doit être en bonne santé et pas trop nombreuse. La seule solution : l’accès à la contraception ». Dans une société où la polygamie est encore la règle et le contrôle des naissances quasi inexistant, l’enjeu est de taille. « Le Planning familial est arrivé au Sénégal dès les années 60, précise Awa Marie Coll Seck, mais, pendant longtemps, le contrôle des naissances n’a pas été une priorité. »
Tout a changé en 2010 grâce à une campagne initiée par l’ONG américaine IntraHealth International. Soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates, ce programme pilote s’est fixé comme ambition de faire passer, dans huit zones urbaines pauvres, le nombre de femmes sous contraception moderne (pilule, implant, injections, stérilet) de 25 à 40 % en cinq ans. Depuis le début de cette année, le pari est tenu. Comment? En s’appuyant sur les forces locales, dont une immense majorité de femmes.
Altière sous son turban, Khadija Toudramé, 49 ans, entame sa tournée à Pikine. Cette « badienou gokh » (marraine de quartier, ndlr) promeut la contraception chez ses voisines. Dans sa valisette, des pilules, un implant, un stérilet, un kit d’injection, des préservatifs masculins et féminins, de la documentation… En chemin, elle se raconte.
« Mariée à l’âge de 18 ans, j’ai sept enfants, qui ont de 9 ans à 30 ans. Mon mari a trois femmes et quatorze enfants, et ne me donne pas d’argent. Les hommes sont souvent contre la contraception, mais ils ne meurent pas en couches et ne sont pas épuisés par les grossesses rapprochées ! Je milite pour la contraception et ma fille de 19 ans aussi. »
Un peu plus tard, dans le minuscule salon d’une maison nette en béton et en tôle, nous rencontrons Fatou Gueye, 45 ans, neuf enfants et onze grossesses, accompagnée de deux de ses filles, Adjiaratou, 19 ans, enceinte, et Dieynaba, 25 ans, jeune maman. Est aussi présente Aïda Diouf, 48 ans et dix enfants, présidente des marraines de quartier de Pikine, qui lance aux garçons de la famille : « Ça vous concerne aussi ! » Aïda revient sur le sujet : « La contraception devrait intéresser tout le monde. Moi, je parle aux filles dès l’âge de 7 ou 8 ans pour que, à 15 ans, elles débutent leur vie sexuelle en étant informées. Je distribue des préservatifs avant ou après les matchs de football, j’organise des causeries… »
Source: ELLE