Le projet pilote « Accompagnement des adolescents par les pairs Burkinbila pour une gestion responsable de leur sexualité » entrant dans le cadre de la mise en œuvre du programme Transform/PHARE développé par PSI et financé par l’USAID, a été mis en œuvre dans la Région du Centre-Nord par un consortium de 3 ONG dirigé par Save the Children International Burkina Faso. Ce projet innovant communément appelé « Projet Pères Burkinbila » avait pour but essentiellement de construire un lien de communication entre des pères et leurs fils âgés de 13 à 20 ans sur les thématiques des grossesses précoces, de la sexualité responsable et de la planification familiale. Ces Pères qui ont accepté de s’engager à être des pionniers dans la réalisation de discussions sur la gestion de la sexualité avec leurs adolescents garçons ont été appelés les « Pères Burkinbila ». Cette intervention a été conduite dans 3 villages dans la commune de Barsalogho : Tamassogo, Basma et Saaba. Dans chacun des villages sont mis en place 3 clubs de Pères Burkinbila.
Dans le village de Tamassogo situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Kaya, les 3 Clubs des pères Burkinbila mis en place comptent 36 membres qui sont sélectionnés sur la base de critères validés au préalable en assemblée générale villageoise. Chaque club, constitué selon la proximité géographiquement dans les quartiers, compte en son sein 12 pères. Quand les pères éligibles d’un quartier ne valent pas ce nombre, un système de remplacement est mis en place, visant à coopter des pères d’autres quartiers qui sont en effectifs excédentaires.
A Tamassogo, parler de sexualité a apporté la paix dans le village
Ouédraogo H. est âgé de 56 ans. Il est agriculteur et éleveur à Tamassogo. Marié à deux femmes, H a deux garçons de 13 et 17 ans, lui donnant le droit d’être membre d’un des clubs du village. Il raconte comment les trois clubs du village ont été constitués : « Après le recensement, le nombre de pères sur la liste de départ dépassaient 70 personnes. Pour parvenir à un chiffre raisonnable, nous avons écarté du groupe les vieillards et les pères qui n’avaient que des filles ». Cette étape terminée, « les animateurs nous ont d’abord présenté le projet et ses objectifs en détail. Nous avons ensuite reçu des formations sur la planification familiale, les grossesses non – désirées et leurs conséquences,et la sexualité des jeunes. C’est à la suite de ce processus que nous avons commencé à nous entretenir avec nos enfants sur les sujets qui étaient tabous il y a encore quelques semaines entre eux et nous. Chez nous, ce ne sont pas des sujets qu’un père aborde en général avec ses enfants. Nous en avions honte dans notre culture. ».
Cependant, poursuit-il, « depuis que le projet est arrivé, tout a changé dans notre façon de faire et de voir les choses. On discute avec les enfants en leur donnant des conseils sur les bonnes et les mauvaises pratiques à leur âge. La honte s’est dissipée peu à peu. » Pour lui, les résultats de ce projet sont palpables : « Avant, je voyais mon garçon de 17 ans sortir avec des filles qui n’étaient pas de son âge. Mais depuis que nous nous parlons, tout cela a positivement changé. Sans oublier que cela a renforcé nos liens familiaux ».
Fort de ce que cela apporte à leur famille, H. et les autres membres des clubs prennent des initiatives : « En plus de nos enfants, nous discutons également avec les enfants des autres pères qui ne sont pas membres du club. Pour nous, tous les enfants du village doivent en tirer profit. »
Ouédraogo A. H lui a 62 ans et est marié à quatre femmes. Sa particularité parmi tous les autres membres des 3 clubs, il est le chef du village de Tamassogo. Malgré le rang que lui confère la tradition, il a été volontaire pour rentrer dans le programme. Il explique la nature des relations qui existaient auparavant entre lui et ses enfants : « Avant l’arrivée du projet, c’est à travers des sanctions que j’éduquais mes enfants sur les questions de sexualité et autres. Je n’avais pas tous les arguments nécessaires pour les convaincre. En plus, ce genre de questions sont assez taboues chez nous. Les enfants n’osaient même pas approcher leurs parents là-dessus. Avec le projet, j’ai reçu des formations et des documents (boites à images, ndlr.) qui m’aident aujourd’hui à discuter avec mes enfants. Le régime de sanctions qui était en cours a fait place à la discussion et au conseil entre eux et moi. Les sujets ne sont majoritairement plus tabous. Les enfants ont le courage de m’approcher et je suis aussi ouvert avec eux. Je partage avec les enfants les documents reçus qui traitent de la sexualité, des grossesses non-désirées et de la planification familiale. Par semaine, nous avons au moins deux discussions sur ces sujets dans ma famille. Le projet est venu régler beaucoup de problèmes chez moi. En plus de mes jeunes garçons, j’ai une fille avec qui la communication s’est installée et s’est beaucoup améliorée. ».
Au-delà de sa personne, le chef de Tamassogo constate un réel changement de mentalité dans son village. En effet, selon lui, les situations conflictuelles permanentes entre parents qui dégradaient l’atmosphère de vie dans le village et auxquelles il s’était habitué malgré lui, ont largement baissé de fréquence et d’intensité : « Il y a quelques mois au village ici, il y avait plusieurs conflits liés aux grossesses précoces. Ce qui créait une tension palpable entre certaines familles et cela jouait sur la tranquillité du village ».
Aujourd’hui, se réjouit – il, « les conflits de ce genre ont réellement diminué ». Mais « nous attendons quelques mois encore pour mesurer l’impact réel que ce projet a eu dans nos liens au village ». Et pour garantir cette paix durable au village, « nous avons décidé d’impliquer tous les pères du village dans cette dynamique, qu’ils soient membres d’un club ou pas, en leur faisant un feedback de nos activités et des connaissances que nous obtenons, afin que chaque famille puisse en profiter, pour le bien du village. »
« Je n’ai plus envie de commencer une relation sexuelle pour le moment ».
A quelques encablures de Tamassogo, Basma est un petit village d’environ 1000 âmes qui est également une zone de mise en œuvre du projet Pères Burkinbila. Parallèlement au club de leurs parents, les 112 enfants qui profitent directement de ce projet se retrouvent quotidiennement pour parler de ce nouveau type de communication qui s’est instauré entre eux et leurs parents. Ils discutent des sujets abordés et essaient de partager ces conseils avec les autres enfants du village.
Sawadogo P. a 18 ans. Il est en classe de seconde A au Collège d’Enseignement Général (CEG) de Tamassogo. Pour lui, les sujets abordés ces derniers temps par son père sont très « osés » et il cache mal sa gêne : « J’avais honte de parler de sexualité avec mon père. En temps normal, il ne devrait pas me parler de ça. Ce genre de sujets, on devrait l’aborder uniquement entre jeunes de notre âge ».
Mais assure – t – il, « depuis quelques jours, ma honte semble se dissiper peu à peu, sans doute parce que la communication est de plus en plus présente entre mon père et moi sur la sexualité, le planning familial et bien d’autres sujets gênants ». Sawadogo F. lui a 13 ans et fait la classe de CE2 à l’école primaire de Basma. A l’entendre, les conseils de son père ont un réel impact sur sa perception des relations sexuelles au point qu’il est catégorique sur ce sujet : « Je n’ai plus envie de commencer une relation sexuelle pour le moment ». Au-delà de la communication instaurée entre les enfants de Basma et leurs pères, Sawadogo S., 18 ans et en classe de 3e, voit pour sa part ce changement dans la manière de penser des jeunes du village comme le résultat des causeries – débats qu’ils organisent entre eux qui ont leurs parents dans les clubs, et les autres enfants dont les parents n’y sont pas ou non alphabétisés : « Nous partageons les thèmes contenus dans les outils de nos parents (boites à image, ndlr.) avec nos amis qui ne comprennent pas le Français… Maintenant, nous n’avons plus le loisir de sortir après minuit pour courir le risque d’engrosser une fille. Je respecte la parole de mon père. J’avais l’intention d’avoir des relations sexuelles mais depuis qu’il me parle des conséquences que cela peut avoir sur ma vie, je n’en veux plus. »
Un peu plus grand que les autres, A. Sawadogo raconte son histoire personnelle qui l’a amené très vite à affronter les difficultés de la vie : « J’ai 20 ans et j’ai arrêté l’école en 2010 parce que mes parents n’avaient plus les moyens pour payer ma scolarité. » Depuis cet épisode, « mon père avait commencé à me parler en parabole, me conseillant de ne pas mettre enceinte une fille, sinon je n’aurais pas les moyens de m’occuper de la grossesse. Malgré tous ces conseils, avant l’arrivée de ce projet, je rentrais souvent à 3 heures du matin à la maison. » Mais aujourd’hui, assure – t –il, « la bonne communication entre mon père et moi a beaucoup changé ma perception des choses. A 20 heures, je suis à la maison. Je suis très satisfait des arguments qu’ils me présentent et sa façon de le faire. Il m’a dit qu’à défaut de m’abstenir à mon âge, il est important que je me protège pour éviter tout risque de grossesse et de maladie. J’ai une copine qui a 21 ans. Elle fréquente la classe de 4e au Lycée municipal de Barsalogho. Nous avons décidé de nous abstenir pour le moment. »
Aux parents qui ne sont pas membres des différents clubs du village, A. Sawadogo conseille qu’ils s’inspirent des messages contenus dans les boites à images de ceux qui sont membres des clubs pour parler à leurs enfants, afin qu’ils « évitent d’avoir des rapports sexuels précoces. »
Pour sa part, lui-même profite des fins de match de football entre amis les soirs au village « pour discuter de ces questions avec les autres enfants du village ».
A l’endroit des bailleurs de fonds et des différents partenaires de mise en œuvre, A. Sawadogo qui se fait le porte-parole des autres enfants, « souhaite que le projet se poursuivent et s’élargissent à tous ».
Et à écouter les jeunes garçons de Basma, poursuivre et/ou élargir ce projet à tous suppose d’intégrer les jeunes filles dans le programme car, disent-ils, « quand elles mettent leur corps dehors, elles s’exposent aux hommes et les tentent ».
Lassana BARY
Publié le 23-10-2018 dans Burkina24