J’ai été interpellé par des amis (au regard de mon engagement récent sur la problématique) pour donner mon avis sur un article de presse relatif au passage du Ministre en Charge de l’Enseignement Secondaire au Parlement. Le sujet abordé est celui de la recrudescence des grossesses en milieu scolaire et mérite de notre part un intérêt grand.
J’ai personnellement été surpris en lisant que l’on tente de justifier la recrudescence de ces grossesses par le port ou non des tenus kaki dans les écoles. Je trouve cette justification très limite et en grande ignorance de la réalité du terrain. Je veux me permettre de donner mon avis sur les facteurs de la recrudescence de ces grossesses en milieu scolaire.
De quoi s’agit-il réellement ?
Au Bénin, à l’instar des pays africains connait une croissance très forte de la population. Avec un taux de croissance démographique de 2,77 % / an, l’indice de fécondité au Bénin est estimé à 5,7 enfants par femme au niveau national. Les femmes en milieu rural ont une fécondité plus élevée (6,1 enfants par femme) que les femmes en milieu urbain (5,2 enfants par femmes). Sur l’ensemble des 12 départements, les départements du Zou (5,6%), des Collines (5,4%), de l’Atlantique (4,9%) et du Littoral (4%) ont leurs indices de fécondité inférieur à la moyenne. Les autres départements présentent des indices nettement en dessus de la moyenne avec le département de la Donga (6,8%) ayant le plus fort taux d’indice de fécondité.
Cette fécondité est très élevée chez les adolescentes et les filles. Une adolescente sur cinq (20 %) a déjà commencé sa vie reproductive. Le problème de grossesses des adolescentes n’est donc pas un phénomène nouveau. Les grossesses en milieu scolaire constituent une vive préoccupation dans beaucoup d’établissements scolaires au Bénin en raison du nombre important de cas recensés chaque année. Elles se présentent comme un problème d’ordre social et de ce fait, susceptible de constituer une entrave à l’épanouissement des jeunes et au développement.
Toutefois, même si des études se sont penchées sur la fécondité des adolescentes et les pratiques sexuelles en milieu jeune, il existe très peu d’étude pour cerner de façon exhaustive et sociologique la problématique.
« Quand survient une grossesse chez une jeune adolescente, l’entourage familial, scolaire ou institutionnel reçoit simultanément trois mauvaises nouvelles. La première : “elle a une vie sexuelle”; la seconde : “elle est enceinte” ; enfin la troisième et non des moindres : “et si jamais elle l’avait cherché ?”
Des raisons personnelles et profondes justifient le fait que les élèves deviennent de plus en plus enceintes. Ces motifs peuvent être influencés par des facteurs sociaux, culturels, économique ou politiques. Il s’agit entre autre de :
- Faible perception du risque : les élèves continuent de penser qu’elles n’ont qu’un faible risque de tomber enceintes lorsqu’ils s’adonnent à des activités sexuelle régulière et/ou non protégées.
- Forte vulnérabilité des filles dans le système éducatif national: l’école devient de plus en plus un milieu de haute vulnérabilité pour les jeunes en particulier les jeunes filles. Cette vulnérabilité est liée à la faible qualité et responsabilité des acteurs de l’écosystème académique, à une absence de dispositif d’accompagnement affectif et sanitaire des jeunes, l’éloignement des écoles/collèges des lieux de résidence des communautés, les horaires de cours non adaptés aux réalités des filles et n’assurant pas toujours la sécurité des filles.
- Faible accès aux services de planification familiale : manque d’information en direction des jeunes pour la gestion responsable de sa sexualité – Manque de disponibilité des produits de contraception et/ou des services de santé en milieu jeune et scolaire. Les différentes études montrent qu’un nombre très important d’élèves et de jeunes filles souffrent d’un manque d’information en matière de sexualité.
Sur un plan politique, on peut expliquer le phénomène à l’affaiblissement des engagements politiques et des financements alloués au secteur de la santé et de la santé de la reproduction des adolescents et jeunes en particulier. On peut citer aussi la dernière restriction par le gouvernement béninois des conditions d’intervention des Organisations de la Société Civile dans les écoles. Bien que pertinentes (avec l’objectif de régulariser), elle a engendré un arrêt des activités de communication pour un changement de comportement (sensibilisation) dans les écoles avec une faible intervention des spécialistes sur la question dans les écoles a vraisemblablement participé à l’augmentation des besoins d’information et de services non satisfaits.
Sur un plan programmatique, cela résulte de la faible efficacité et durabilité des interventions en direction des adolescents et jeunes. Bien que le Bénin dispose d’une stratégie nationale multisectorielle de santé sexuelle et de la reproduction des adolescents et jeunes, d’un programme d’éducation à la santé sexuelle en milieu scolaire et d’un programme ZEGROMIS (mis en œuvre par des OSC dans l’Atacora), les interventions ne répondent pas toujours aux réalités des bénéficiaires. Très souvent conçus de l’extérieur, sur la base d’un diagnostic trop technique, les interventions sont menées parfois à des niveaux et avec des stratégies (découpage administratif par exemple) qui ne sont pas toujours adaptés aux réalités sociales et les besoins extrêmement complexes de la cible.
Quelle (s) réponse (s) pourrait-on apporter ?
Au regard de l’analyse présentée, il existe des solutions pour y faire face. Il s’agit entre autre de :
- renforcer sa volonté politique à travers une réforme législative complète en matière de SSR. Dans ce cadre, un code sur la santé sexuelle reproductive pourrait être élaboré avec le triple intérêt d’une lisibilité aisée des dispositions concernant la SSR, d’une harmonisation des dispositions avec les réalités socioculturelles et des besoins réels de la cible,
- renforcer le financement au secteur de la santé (15% du budget national) avec la création de lignes budgétaires spécifiques à la santé reproductive aussi bien au niveau national que local,
- garantir la présence et le fonctionnement des cliniques et des dispositifs d’accompagnement adaptés aux élèves dans les écoles et centres de formation,
- soutenir et opérationnaliser l’éducation sexuelle exhaustive et pratique dans les écoles et centres de formation du Bénin,
- renforcer, outiller davantage les parents pour assurer davantage leur rôle d’éducateur à travers le dialogue permanent avec les enfants,
- intégrer les services de planification familiale à d’autres services et actions, qu’ils concernent ou non la santé en direction des adolescent.e.s et jeunes.
Loukman A. Aziz TIDJANI, Spécialiste des Questions de Droits Sexuels et Reproductifs des Ado & Jeunes/ Concepteur des Services/Programmes de mHealth & eHealth
Publié le 08-01-2021 dans Matin Libre