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Santé de la reproduction : Décembre dans un ghetto pour jeunes

Au Burkina Faso, il existe plusieurs endroits où les populations peuvent être sensibilisées sur leur santé sexuelle et reproductive. Le Centre d’Ecoute pour Jeunes (CEJ) de l’Association Burkinabè pour le Bien-Etre Familial (ABBEF) sis au quartier Paspanga de Ouagadougou en fait partie. Il sert de rempart contre les grossesses non désirées, les infections sexuellement transmissibles, et autres phénomènes sociaux. Mais, pas que ça. Nous y avons fait un tour en fin décembre 2019. Le CEJ est plus qu’un centre d’écoute pour jeunes. C’est une véritable école pour la vie ! 

En cette fin d’année 2019, Ouagadougou vibre au rythme des fêtes. Avec le froid, chacun est vêtu d’au moins deux habits. Dans chaque recoin de la Capitale, la bonne humeur se fait sentir.

Une odeur d’épices et de légumes frais se mêle à un fumet de poisson frit. L’arôme de viande grillée assaisonnée d’ail et de piment effleure les narines des visiteurs. Tantie, la restauratrice a, comme menu du jour, de la soupe de poisson, des omelettes, du riz larvé de morceaux de viande et du « Ba-Benda ».

Nous sommes au Centre d’écoute pour jeunes (CEJ) de l’Association burkinabè pour le bien-être familial (ABBEF), situé à Paspanga sur l’Avenue Thomas Sankara. Il est 10h30. Le parqueur, assis sous un arbre, a les yeux rivés sur son smartphone. Quelque dizaine d’engins bien rangés à côté. Le monsieur surfe sur le net, au point d’oublier son job.

Un klaxon le fait vite revenir de son voyage lointain. Nous parquons notre motocyclette non sans lui arracher quelques mots. « Je sais qu’il y a une infirmerie ici. Des gens viennent aussi souvent garer leurs motos pour, disent-ils, payer des préservatifs », murmure-t-il.

Avec les travaux de réfection de la voie menant au plus grand hôpital du Burkina, le Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, le centre d’écoute pour jeunes de l’ABBEF servait de passerelle pour des motocyclistes.

Un lieu de distraction surtout…

Certains impénitents n’y hésitaient pas à cabrer leur engin comme un avion. Interpellés plusieurs en vain, les motards se sont finalement vus interdire le passage au sein du QG pour jeunes qui est ouvert depuis 1992.

Des objets postés çà et là obstruent, désormais, le passage à tout voltigeur, même ceux qui disent ne pas l’être. D’ailleurs, c’est tout le monde qui perd. Avec une porte d’entrée principale située au côté Ouest et une autre à l’arrière du centre, à l’Est, il est plus discret de se rendre dans cet espace plein de juvénilité. Il y a presque tout pour rassembler, divertir, maintenir et sensibiliser les adolescents et les jeunes notamment sur la sexualité.

Des espaces de jeux de loisirs (babyfoot, awalé, dames), une bibliothèque, un cybercafé, un canal vidéoclub (pour du foot en direct, des projections de films), une salle d’attente équipée d’une télévision, un kiosque à café, un restaurant. Bref, les jeunes sont dans leur élément.

Le centre dispose d’une clinique équipée. Là-bas, en moyenne 40 à 60 clients de tout sexe sont accueillis par jour, révèle la sage-femme, Élisabeth Ouédraogo. Les besoins récurrents des clients (es) sont des demandes de services en conseils ou offres de services en planification familiale, des soins maternels et infantiles, des consultations gynécologiques, la prise en charge des cas d’avortement fait clandestinement par les clients (es), la prise en charge des IST, VIH/SIDA, etc.

Le CEJ reste ouvert à toute personne

Au centre d’écoute pour jeunes de l’ABBEF, il y a aussi des codes… de bonne conduite. « Je veux des vestes ». C’est un code ! Il faut être jeune pour le comprendre. Avec l’interdiction d’accès des acrobates au centre, était immense la joie des habitués du coin. Surtout Tantie, la célèbre tavernière des lieux. Le fumet de ses succulents plats est la première chose qui accueille tout visiteur à pareille heure. Il est bientôt midi.

Tantie dit, présentement, adieu à la poussière qui colorait ses condiments. Le kiosque de la dame qui frise la quarantaine est situé tout juste au mitan du centre. Une horde de badauds grouillent sur le café-restau dès que la cloche de 12h sonne.

Vendeurs de lunettes, de fourreaux pour téléphones, vendeuses d’oranges, élèves, passants, mendiants,… le CEJ reste ouvert à toute personne. Et le moment pour les y rencontrer, c’est entre 10h et 13h, apprend-on. De l’autre côté, sous un arbre, trois cireurs de chaussures mal chaussés s’agrippent sur les souliers poussiéreux d’un visiteur.

Plus de cinq kilomètres pour se procurer des préservatifs

Pour leur geste jugé excessif par le client, ils repartent bredouille, sous le regard foudroyant de l’homme qui rivalise de taille avec l’Américain Robert Wadlow. Dans ce milieu plein de jeunes, le bourdonnement de la foule dégénère très souvent en cacophonie.

Dans le haut-vent situé à gauche du kiosque de Tantie, nous apercevons un groupe de jeunes filles, en tenue d’école kaki, en train de deviser. Justine s’occupe à sucer un sachet d’eau. Elle réajuste, en même temps, son pagne jaune bleu. Fatou, chevelure dressée par une sorte de casque, et Adjara, cheveux coupés, jettent leur dévolu sur des méthodes contraceptives entassées sur une table.

Valérie, elle, arrêtée un peu à l’écart, l’air timide, louche ses camarades. L’une d’elles, Adjara, s’apprête à s’accaparer des condoms féminins vendus à 25 francs CFA l’unité. Ces contraceptifs sont souvent distribués gratuitement. Adjara confie qu’il lui arrive de faire plus de cinq kilomètres pour se procurer des préservatifs dans ce centre. Ses camarades n’en croient pas leurs yeux. Un débat vient, ainsi, d’être lancé.

Pendant ce temps, un vendeur de mouchoirs et de chaussettes a maille à partir avec Tantie, la restauratrice. Au niveau du robinet, l’infortuné vient d’user, par mégarde, d’une bouilloire. Il se sert sans apercevoir le seau rempli d’eau posté sous le robinet. Le seau appartient à la cuisinière.

Un marchand ambulant en passe d’être lynché dans le centre

S’en suivent des paroles entremêlées entre la dame enragée et le fautif. La restauratrice ordonne à son aide-ménagère de transvider l’eau souillée et de recueillir à nouveau de l’eau propre. Elle s’en sert, en effet, pour son gagne-pain quotidien. Le jeune dans l’erreur est traité de tous les noms.

Soudain, d’autres jeunes forment un front pour soutenir Tantie le visage colère. Dans le brouhaha de ses contempteurs, le baluchon de haillons, que le marchand ambulant porte, tombe dans une flaque d’eau formée au pied d’un banc. Ses marchandises bon marché évitent de peu la boue. Sa panique lui joue soudain des tours. Les dents enfoncées dans les lèvres inférieures, l’essaim d’impénitents jeunes du quartier le harcèlent. Ils tempêtent avant de s’emporter.

L’atmosphère devient de plus en plus tendue. La tête du marchand risque d’être mise au carré. Les ados inoccupés commencent à lui jeter des mottes de terre. Puis des pierres. La meute avance, l’air agressif. Ils émettent un sourire qui frise le cynisme et le sadisme. Tantie est dépassée par les évènements.

Elle finit par s’investir en arbitre.  La bande de bambins est finalement grondée par des tontons réunis autour d’un damier.

Interdit de regarder des films pornographiques sur les machines du cyber 

Les badauds disparaissent dans un nuage de poussière. Fin de l’intifada que risquait le petit commerçant visiblement nouveau dans le coin. Notre marchand étranger ne s’avoue, pourtant, pas vaincu. Il balbutie des injures avant de fondre dans la nature, à grandes enjambées en passant par l’autre porte. C’est aussi ça, la réalité dans le centre d’écoute pour jeunes de l’ABBEF !  

Là-bas, le cybercafé est ouvert à toutes et à tous. Une heure de connexion coûte 150 francs CFA. La photocopie se fait à partir de 10 francs. Mais, en ce jour de mi-décembre, les clients (es) se font rares, au point de laisser le gérant se bercer entre les bras de Morphée. Les huit postes utilisateurs attendent des internautes depuis des heures. Nous visitons le cyberespace à loisir. 

Au coin du mur, vers la porte d’entrée, ce pamphlet écrit en lettres de feu : « SVP ! N’utilisez pas nos machines pour regarder des films pornographiques ». Malgré, le « Merci pour la compréhension » qui accompagne le panonceau, se laisse confondre Thierry Zongo, 25 ans. C’est un autre marchand ambulant. Les responsables du centre d’écoute considèrent cette catégorie de visiteurs comme de véritables acteurs de transmission des informations. Difficile pour nous de le vérifier. Le jeune Zongo avance tout en nous présentant ses produits. 

Des visiteuses timides…

« Vous dites tout le temps ici qu’il faut parler du sexe sans tabou. Et vous affichez ce message. N’est-ce pas un peu contradictoire », marmonne le jeune vendeur de bonbons et de chocolats. Ainsi, donc, les visiteurs du CEJ semblent connaître un peu le rôle de ce joyau. « Rien d’étonnant, puisque des séances de sensibilisations y sont régulièrement organisées », nous apprend le gérant du cyber.

Dans l’espace dédié au vidéoclub, deux filles, Zena, 18 ans et Hono, 17 ans (noms d’emprunt), sont à table. Elles sont élèves au Lycée Bogodogo situé non loin de là. Elles sont venues se restaurer chez Tantie, après des devoirs de travaux pratiques. Nous tentons de leur arracher quelques mots : « Qu’est-ce que vous savez de ce centre d’écoute pour jeunes ? ».

« Ici, on parle souvent de… (Rires). Je ne sais pas comment dire. On parle de… sexualité », se libère la grande sœur, Zena. Un iPhone en main, elle se distrait en prenant des selfies. « Mais, quelles méthodes contraceptives utilisez-vous ? », relançons-nous. « (Rires) Ne regardez pas nos visages hein, nous sommes des gamines. On ne connaît rien (Rires) », lâche Hono, la tête baissée. Après plusieurs tentatives infructueuses, nous finissons par capituler. Il faut abandonner ces interlocutrices, restées timides et silencieuses, digérer leurs repas, nous-nous sommes dit.

« Le préservatif a… pété »

Il est 12h30. Le soleil dirige graduellement ses rayons sur le centre d’écoute pour jeunes de l’ABBEF. Giselle, une cliente, l’air affolée, fait son entrée. Elle a besoin urgemment d’un produit. Elle se réserve de nous dévoiler le nom de la substance pharmaceutique. La dame de teint clair nous partage, néanmoins, sa peine. « J’ai eu des rapports sexuels hier soir. Le préservatif de mon chéri a… pété », nous confie-t-elle, l’air agacée.

Son regard expressif porte vers un objet invisible. Tee-shirt rouge, pagne polychrome, foulard noirâtre, elle a le visage triste. Le dépistage du VIH n’est, pourtant, pas une urgence pour la coiffeuse célibataire et sans enfant. Ce qui lui importe, c’est échapper à une grossesse non désirée.

C’est le partenaire de Giselle qui se protège lors des rapports sexuels, nous dit-elle. A la question de savoir pourquoi elle n’utilise pas de méthode contraceptive, sa réponse confirme que, pour l’heure, elle n’a pas confiance aux contraceptifs.

« J’ai appris que les méthodes contraceptives sont pour les femmes qui ont déjà au moins un enfant. On m’a dit que si tu n’as pas encore enfanté, et tu prends la pilule ou tu fais l’injection ou bien tu places le stérilet, que tu auras des difficultés à avoir un enfant dans le futur », affirme-t-elle d’un ton rassurant.

25.000 nouvelles utilisatrices de méthodes contraceptives par an

Nous la mettons en contact avec une sage-femme du centre. Plusieurs minutes plus tard, elle ressort beaucoup plus réconfortée. Désormais, elle dispose peut-être de la bonne information sur la question, pensons-nous…

Selon les responsables du centre d’écoute pour jeunes de l’ABBEF, le centre permet, ainsi, à des millions de couples d’éviter des maladies, de planifier leurs naissances et d’éviter des grossesses non désirées.

 « Nous contribuons en moyenne, chaque année, depuis une décennie au recrutement de plus 25.000 nouvelles utilisatrices de méthodes contraceptives. A titre illustratif, nous avons recruté en 2018 plus de 32.184 nouvelles utilisatrices de méthodes », souligne la présidente nationale de l’ABBEF, Wendyam Kaboré.

L’ABBEF compte à ce jour six cliniques fixes dont quatre centres d’écoute pour jeunes, six cliniques mobiles, 13 cliniques franchisées, plus de 110 agents et près d’un millier de volontaires qui s’investissent dans les activités de plaidoyer, de sensibilisation et de mobilisation de ressources. Pour Oumar Tao, Président du Mouvement d’action des jeunes (MAJ), la multiplication notamment des centres d’écoute pour jeunes à travers tout le pays peut permettre de renverser favorablement la tendance, compte tenu des chiffres. 

Le Burkina Faso est, en fait, un pays majoritairement jeune. Selon l’Enquête module démographique de santé (EMDS 2015) qui est réalisée chaque cinq ans, 67% de la population a un âge inférieur ou égal à 20 ans. 13% des adolescentes du milieu urbain et 29% du milieu rural sont en grossesses ou sont mères pour la première fois, soit une adolescente sur quatre.

217 cas de grossesses non désirées et 161 cas d’avortements clandestins entre 2018 et 2019

Toujours selon l’EMDS 2015, la santé des femmes est également marquée par une morbidité et une mortalité maternelle très élevées et en particulier dans les régions ; elle représente 19% de tous les décès de femmes de 15 à 49 ans.

Une étude réalisée, entre 2018 et 2019 par l’association burkinabè des sages-femmes et maïeuticiens, a permis de dénombrer un total de 217 cas de grossesses non désirées et 161 cas d’avortements provoqués clandestins ; l’âge moyen des patientes étant de 22 ans.

L’accès des jeunes à la planification familiale et aux méthodes contraceptives au Burkina Faso demeure toujours préoccupant. Le taux de prévalence contraceptive moderne des jeunes femmes n’est que de 6,1% pour celles âgées de 15 à 19 ans et 19,2% pour celles âgées de 20 à 24 ans (Cf. PNA-PF 2017-2020).

Pour ce qui est des adolescents et des jeunes de façon globale, le taux de prévalence contraceptive est de 12,6% pour les 15 à 19 ans et de 21% pour les 20 à 24 ans. Pris sur la population générale, ce taux estimé à 22,5% reste toujours faible, selon l’EMDS 2015.

Noufou Kindo

Publié le 31-12-2019 dans Burkina24

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